jeudi 24 novembre 2016

Plaidoyer pour que l’on rende ses crocs au vampire

Article paru dans l'Imaginarius, en août 2012.


Vampires et littérature : de la répulsion à l’attirance… et de la fascination au rejet ?

Plaidoyer pour que l’on rende ses crocs au vampire

par Sklaerenn Baron

 
Les vampires… Il suffit de prononcer ce mot pour qu’aussitôt certains se mettent à frissonner de délices en disant « j’adooooore les vampires ! » ou que d’autres fassent la moue, au contraire, en vous cinglant d’un « oh, les vampires, y’en a marre, on en a fait le tour, faudrait changer ! » Ok. J’entends bien que, depuis quelques années, nous avons vu débarquer un flot de romans vampiriques – ou considérés comme tels. Selon certains, d’ailleurs, les vampires sont à la mode depuis Twilight. C’est faux : les vampires sont revenus sur le devant de la scène depuis Buffy contre les vampires, et Twilight a surfé avec succès sur cette tendance, bien que les vampires présentés dans cette saga soient forts différents de tout ce à quoi nous pouvions nous attendre. Et la mode a continué ensuite, entraînant un nouveau flot de littérature vampirique ou pseudo-vampirique.

De là à dire qu’on a fait le tour de la question des vampires, rien n’est moins sûr. Par contre, il est bien évident que l’image du vampire a énormément évolué ces dernières décennies, au point de faire oublier le mythe originel et sa véritable nature. En fin de compte, c’est sans doute justement cela qui agace : le fait que le vampire ait perdu son sens, son sel, sa saveur. Il n’est souvent plus qu’un pâle reflet de lui-même, sans consistance et sans substance. De quoi vouloir le rejeter, en effet. En cette année du 100e anniversaire de la mort de Bram Stoker, maître du genre, ce serait quand même dommage, surtout que le vampire a encore beaucoup à nous dire… à condition de lui redonner ses crocs.
 


Les sources de l’origine du mythe des vampires sont assez variées, et je ne vais certainement pas vous en faire l’historique complet, bien que certains éléments me paraissent intéressants pour mon propos. Mais ce sujet a été maintes fois abordé, et de façon magistrale par plusieurs personnes, et je n’ai aucune envie de faire des redites. Récemment, j’ai ainsi trouvé fort intéressant l’essai d’Estelle Valls de Gomis, Le vampire au fil des siècles : enquête autour d’un mythe, et dans un autre registre, le livre Bit-Lit ! : L’Amour des vampires dirigé par Sophie Dabat, sans parler du Traité de vampirologie d’Edouard Brasey (enfin, de Van Helsing, pardon !). Et parmi les innombrables revues fantastiques (qui ont nécessairement abordé le sujet à un moment ou un autre), il me revient à l’esprit un article paru dans le premier numéro des Soupirs de Ligeia, intitulé Les vampires dans la littérature moderne et rédigé par Adrien Party (prochainement « maître de cérémonie » au salon des Halliennales, en octobre 2012, dont les temps forts s’articuleront précisément autour du mythe du vampire), à la suite de sa conférence donnée au premier salon du vampire, en décembre 2010, à Lyon.

Néanmoins, en nous limitant strictement au mythe du vampire dans notre monde occidental (bien qu’il soit présent aussi dans les civilisations asiatiques, africaines, voire amérindiennes) et sans remonter jusqu’à Lilith ou Caïn, aux lamies ou encore aux stryges, on ne peut parler de vampire sans évoquer ces personnages fondateurs du mythe comme Vlad l’empaleur ou Elisabeth Bathory. Par ailleurs, même en s’en tenant aux vampires dans la littérature, l’on est bien obligé de tenir compte des récits et croyances populaires anciens, des faits divers rapportés par écrit et qui ont nourri les premières légendes vampiriques. 

On se souvient par exemple de ces histoires (dès le Moyen-Âge) mettant en scène ce qu’on appelait alors des « revenants en corps » (et non de purs esprits comme les fantômes), des défunts mâchant leur linceul dans leur cercueil, se relevant de leur tombe pour venir « hanter » leur propre famille. Dans ces récits populaires, le personnage du vampire tient parfois plus du zombie (selon notre mythe moderne) que du vampire proprement dit (toujours selon notre mythe moderne) en ce sens qu’il est bien souvent laid et presque toujours en voie de décomposition. Il n’est juste pas complètement mort. Pas glamour, tout ça. On accuse ces vampires d’être responsables de propager la peste, du fait de leurs corps pourrissant qui circulent au milieu des vivants, et on commence à mettre en place des rituels pour les empêcher d’agir, par exemple en leur mettant quelque chose dans la bouche pour éviter qu’ils ne mastiquent leur linceul. Une des découvertes les plus récentes à ce sujet, c’est celle du « vampire » de Venise, dont Vampirisme.com et ActuaLitté avaient parlé sur leur site respectif à l’époque de la découverte du corps : datant du XVIe siècle, c’est celui d’on avait pratiqué un rituel pour lui interdire de revenir parmi les vivants.

Ce n’est que plus tard qu’est apparue l’idée du vampire se nourrissant du sang des vivants, au XVIIIe environ, à une époque où les récits de cas de vampirisme « avérés » ont connu leur plus grand développement. A ce moment, le vampire n’est plus un cadavre en décomposition qui refuse de rester sagement dans sa tombe, mais il possède déjà un corps « frais » qui a toutes les apparences de la vie et qui saigne abondamment si on lui perce le cœur ou si on lui tranche la tête. Mais même à partir de là, le vampire a continué à subir de nettes modifications au fil du temps.

Bien évidemment, la première grande époque du vampire, c’est le XIXe siècle, avec Bram Stoker, que tout le monde connaît, mais aussi John-William Polidori, dont j’ai redécouvert le texte Le vampire dans le Traité de vampirologie d’Edouard Brasey, ou encore J-S Le Fanu. Le vampire est souvent un homme de la noblesse. Il n’est plus forcément laid, en dépit de ses actes horribles, et il fascine, attire et répugne en même temps. Dans certaines histoires gothiques du XIXe siècle, le vampire se contente de commettre ses actions « sacrilèges » la nuit et revient vaquer à ses occupations auprès de sa famille dans la journée, comme si de rien n’était, tel cette jeune femme de La vampire de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (que j’ai également découverte dans le Traité de vampirologie de Brasey). D’autres ne semblent même pas conscients de leur nature.

 

Mais l’intéressant dans tous ces vampires, c’est qu’ils représentent une perversion, de par leur nature même. Perversion de la sexualité, de l’érotisme (amour et mort leur sont liés), mais aussi perversion de la vie, par le fait de commettre des crimes, de tuer, mais également d’avoir accédé à l’immortalité et de la donner à d’autres, au cours d’un échange très symbolique. Le vampire transgresse les tabous et incarne la cruauté et le Mal, notion à laquelle il est intrinsèquement lié. Le Mal, quelque chose qui est en nous et hors de nous à la fois, que nous ne comprenons pas toujours et que nous refusons souvent de voir. Dès lors, soit le vampire est maléfique en lui-même, soit il est manipulé par une force maléfique. Parfois révolté contre Dieu (comme Dracula), parfois niant Dieu, parfois payant pour les fautes de ses ancêtres contre l’ordre divin, son état de mort-vivant est, de toute façon, lié à une malédiction. Et par sa seule existence contre-nature, sorte d’aberration, il clame son opposition à la nature, à Dieu, à la norme.

Une des premières questions que l’on se pose alors, c’est : comment peut-il « vivre » alors qu’il est mort ? Qu’est-ce qui l’anime ? L’hypothèse la plus souvent retenue autrefois était qu’un démon l’animait, et que donc, il avait perdu son âme. Cela ne lui faisait pas forcément perdre ses souvenirs, mais l’âme semblait bel et bien le prix à payer pour revenir d’entre les morts et l’on devait accepter de la perdre volontairement pour devenir immortel. C’était pour cela aussi qu’il fallait accepter de boire le sang du vampire, après avoir été vidé du sien, pour devenir vampire à son tour (toute chose que l’on retrouve chez Anne Rice, plus tard). On ne pouvait être changé contre son gré, il fallait accepter le Mal en soi. Voilà pourquoi aussi, sans doute, la transformation en vampire n’était pas immédiate : il fallait « mourir » à sa première existence pour renaître à la nouvelle. Chez Bram Stoker, cette transformation (contamination par le Mal) est lente, et même réversible tant que la mort physique n’a pas encore eu lieu. Mina en est l’illustration parfaite qui, après avoir été corrompue par Dracula, revient du côté obscur vers la lumière. L’échange de sang entre le vampire et celui qu’il va corrompre et transformer à son tour, est donc le symbole de cette contamination, et aussi celui de l’échange de l’âme contre l’immortalité, autrement dit de cette renonciation à l’humanité – et à la part de divin en nous – contre le fait de vivre éternellement. L’utilisation du sang, considéré comme sacré dans toutes les cultures primitives, n’est pas anodine non plus. Le sang, c’est la vie, et le vampire joue avec. Par ailleurs, il y a aussi dans cet échange de fluides l’image d’une relation à un autre niveau, d’ordre sexuel.

De la même façon, dans le mythe classique, un vampire ne peut entrer chez quelqu’un, dans une maison habitée, sans y avoir été préalablement invité, mais une fois qu’on l’a invité, il peut revenir quand il veut. Je me souviens avoir lu une explication fort intéressante sur ce sujet : c’est tout à fait logique si on prend le vampire comme le symbole de la tentation du Mal et la maison comme le symbole de notre cœur ou de notre âme. On peut très bien refuser au Mal de venir en nous, en ne s’y adonnant jamais. Mais une fois qu’on s’y est laissé aller, il est de plus en plus facile d’y succomber. Et la métaphore prend alors tout son sens. Inviter le vampire à entrer, c’est donc faire un premier pacte avec le Mal, un pacte qui n’est pas sans conséquence, car si, dans les histoires, on devient alors la victime du vampire, lequel peut vous tuer ou/et tuer toute votre famille, c’est que, symboliquement, s’adonner au Mal entraîne le monde à sa ruine.

Accepter le sang que le vampire donne après avoir sucé le vôtre (pour engendrer un nouveau vampire), c’est aussi faire un pacte avec le Mal, un pacte d’un autre ordre et aux conséquences encore plus désastreuses, puisqu’on devient soi-même vampire et meurtrier et qu’on perd son âme en échange de l’immortalité et de pouvoirs surhumains. C’est sans nul doute un pacte de type faustien, un pacte avec le Diable. Le vampire est donc un véritable monstre, mais il fascine car il peut nous contaminer et il nous montre que nous pouvons tous devenir des monstres. En réalité, le Bien et le Mal sont en chacun de nous, et le vampire nous montre ce qui arrive lorsqu’on se laisse aller au Mal. C’est pourquoi, aussi, le vampire traditionnel n’a pas de reflet, tout simplement parce qu’il est – ou peut être – le reflet de n’importe lequel d’entre nous.

On comprend que, dans cet ordre d’idées, le vampire n’ait que faire des lois et de l’ordre, qu’ils soient humains ou divins. C’est un hors-la-loi subversif. Il erre de par le monde, se voulant « seul et unique responsable de son destin » comme le disait Jean-Jacques Beinex, et ne rendant de compte à personne. En apparence, il n’est plus soumis à aucune règle, ni celles de Dieu, de la nature, ni celles des hommes. C’est un être provocateur par nature, profondément anarchiste, un être « libre ». Mais j’y mets des guillemets, car cette liberté n’est qu’illusoire puisqu’en réalité, le vampire est gouverné par ses pulsions, ses désirs, ses « soifs », la soif de sang n’étant que le symbole de quelque chose de plus général. Cependant, on voit immédiatement que le message qu’il envoie ainsi au monde est menaçant pour les pouvoirs en place, surtout qu’en plus d’agir de la sorte, le vampire invite les autres à le suivre. Il est en soi un appel permanent à tous les vices, une incitation au Mal personnifiée dans un corps éternellement « vivant », et bientôt éternellement beau et jeune : le vampire étant tentateur se doit désormais d’être beau, telle une incarnation du Diable. Du caractère simplement immortel du vampire, on en est donc arrivé à une créature apparemment magnifique pour l’éternité.

Dès lors, le vampire est intrinsèquement un démon de la tentation, démontrant par ses actes que le sens de la « vie » réside tout simplement dans le fait d’y mordre à pleines dents (au sens littéral et figuré) et que la seule vérité à laquelle on doit se raccrocher est dans cet acte même. Il prouve que n’importe qui peut acquérir des pouvoirs inimaginables pour le commun des mortels à la seule condition de simplement se laisser posséder par le Mal. Il pousse alors les hommes à suivre leur instinct, et non leur raison, prétendant qu’il ne faut pas avoir peur d’être soi-même mais qu’il faut au contraire laisser pousser ses crocs.

Il va donc à contre-courant de toutes les grandes religions, lesquelles affirment, au contraire, qu’il faut se limiter et se restreindre, renoncer au plaisir maintenant pour obtenir le Paradis plus tard. Le vampire, lui, affirme que peu importe le Paradis et l’Enfer, on fait sans eux : le plaisir peut (et doit) être immédiat, dans une éternité passée sur terre ; et la seule chose tangible qui existe et qui compte véritablement, ce sont les désirs, autrement dit les « soifs ». Il démontre alors que c’est en les assouvissant que l’on trouve le plaisir, mais aussi l’immortalité, à l’instar de ce Dieu qu’il défie à chaque instant. Pour lui, l’âme n’a alors aucune valeur. Il n’a pas besoin d’elle pour survivre à la mort. C’est sans doute aussi pourquoi il y renonce si facilement, puisque, de toute façon, c’est le prix à payer. Tout est lié, tout se tient.

 

Pour moi, l’essence du vampire est précisément là, et du coup, j’adhère moins facilement aux histoires où le vampire, tout en buvant du sang, refuse son état et se lamente sur son sort. Louis, d’Entretien avec un Vampire et célèbre parmi les vampires d’Anne Rice, n’est ainsi pas un « vrai » vampire à mes yeux – et Edward Cullen l’est encore moins, sorte de Louis poussé à l’extrême, comme le faisait remarquer Adrien Party dans son article, un Louis épuré et débarrassé de toute trace de violence et d’homosexualité. Je comprends le côté « regrets de la vie humaine » de Louis (pourquoi pas ?) et j’apprécie le fait que, chez Anne Rice, les vampires aient des sentiments (parfois contradictoires) et qu’ils conservent la conscience d’eux-mêmes. Il semble en effet que leur nature humaine d’avant existe toujours, mais sous une forme pervertie et « libérée » (chose que l’on retrouve dans Buffy, plus tard). La grande différence par rapport à « avant », c’est qu’ils sont inhumains, et du coup, ils ne connaissent plus de limites, ni sociales ni morales, ce qui leur permet de tuer sans arrière-pensée, postulat de départ mis en place par Anne Rice. Le hic, c’est qu’on a du mal alors à saisir certains des comportements de Louis et même à concevoir comment il peut exister, puisque c’est apparemment le seul vampire à avoir conservé son âme humaine. Mais pourquoi lui et pas les autres ? On le voit éprouver du remords pour les actes qu’il commet, se croire damné, rejeté par Dieu, et penser que sa place est en Enfer. D’ailleurs, à force de rejeter sa nature, il se crée son propre enfer, car il ne supporte pas d’être un vampire et en veut à Lestat de l’avoir transformé. Ce personnage est donc assez incompréhensible, à l’inverse de son créateur, nettement plus logique, qui assume totalement sa nature vampirique.

Lestat, lui, ne croit en rien : à ses yeux, Dieu n’est qu’une invention qui n’existe pas plus que le Diable (il se fait passer lui-même pour le Diable, c’est dire !). Ce libertin invétéré et cynique agit en suivant uniquement ses pulsions et il use avec grand plaisir du « don obscur » pour dépasser toutes les limites et tabous de la vie humaine. Ceci dit, il préfère le sang des criminels au sang des innocents, mais est-ce vraiment pour une question de morale ou parce que le goût des uns est différent du goût des autres ? Tuer des humains ne le dérange guère, et d’ailleurs, il aime défier toutes les règles, y compris celles des vampires. Lestat est le digne héritier de Dracula, lequel, dans le même ordre d’idées, est aussi parfaitement logique, car n’ayant pas d’âme, il n’a aucun état d’âme (justement) lorsqu’il s’agit d’arriver à ses fins, de tuer des innocents et de pervertir de jeunes demoiselles. Tout cela ne l’empêche pas d’être amoureux, d’une façon assez égoïste cependant, car ne pas avoir de moralité ne signifie pas être incapable d’éprouver des sentiments. Cela me rappelle d’ailleurs une remarque de Drusilla dans Buffy contre les vampires : « Ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’âme que nous ne pouvons pas aimer. » Mais même amoureux, Dracula reste un damné qui s’est révolté contre Dieu, un prédateur qui se nourrit des vivants, que ce soit de leur sang ou de leurs émotions, un être pervers qui prend plaisir à pervertir les innocent(e)s.

Cependant, à travers tout cela, on s’aperçoit que le vampire est passé du statut de simple objet de terreur, dans les contes gothiques des XVIIIe et XIXe siècles qui plongeaient avec délices dans des scènes sanglantes et barbares, destinées à faire éprouver de la répugnance au lecteur, au statut de sujet de fiction à part entière. Bram Stoker a entamé cette révolution avec son Dracula. Pourtant, dans son roman, si le vampire est au cœur de l’histoire, il n’en est pas le héros. On parle de lui, mais on ne le laisse pas parler. C’est Van Helsing et ses compagnons qui racontent l’histoire, d’un point de vue entièrement extérieur au vampire. Il faut attendre Anne Rice pour aborder le point de vue du vampire lui-même. Et c’est en cela que ses livres sont absolument géniaux, parce que, pour la première fois, c’est le vampire qui parle. Au début, même s’il nous ressemble, il reste quand même différent, et donc encore un peu menaçant. Mais Anne Rice révolutionne le mythe encore plus profondément, car son mode de narration nous permet de nous identifier au vampire, et non plus simplement à un héros en butte à des phénomènes surnaturels, ce qui est tout à fait nouveau. Dès lors, le vampire fait de moins en moins peur, tout en demeurant fascinant. On en arrive à le comprendre et à trouver « naturelles » ses réactions, ce qui est comble pour un monstre censé être éloigné de nous ; et si cela est encore relativement compréhensible avec Louis, le plus humains de tous ses vampires, dans Entretien avec un vampire, cela devient plus pervers avec Lestat dans Lestat le vampire.

Mais désormais, la porte est ouverte à de nouvelles fictions, avec des vampires qui, tout en se demandant s’ils ont ou non perdu leur âme, se mettent à éviter de boire le sang des hommes (Louis ayant été le premier d’entre eux). Ils deviennent de plus en plus humains, se comportent comme tels et ne sont plus nécessairement mauvais. Ils sont, certes, plus forts que de simples mortels, plus dangereux, et l’amour est encore souvent lié à la mort avec eux, mais la communauté vampirique se met à avoir ses bons et ses mauvais vampires, comme il y a de gentilles et de méchantes personnes dans la société humaine. Il faut pourtant admettre que, tout en permettant de créer des histoires nouvelles, cela fausse le mythe. L’idée de la perte de l’âme pour acquérir l’immortalité n’est plus du tout retenue dans les récits modernes, et d’ailleurs, on ne se pose plus guère la question de savoir ce qui anime les vampires. Ce qui compte, aujourd’hui, ce sont leurs sentiments, leur existence quotidienne, comment ils vivent parmi nous. Et s’ils restent fascinants par leur jeunesse et leur beauté éternelles, leur nature perverse est éclipsée.

 

L’ennui, alors, c’est que le vampire n’a souvent plus guère de sens. N’y aurait-il donc plus de prix à payer pour accéder à l’immortalité, hormis le fait de devoir renoncer au soleil (et encore, dans les récits de Stephenie Meyer, ce n’est même plus franchement le cas) ? Et dans cette hypothèse, si les vampires conservent leur âme, pourquoi certains d’entre eux se comportent-ils encore comme des prédateurs sans scrupule ? On me dira, certes, que des humains se comportent également ainsi et que la question de l’âme n’est sans doute pas la vraie question à poser, le problème relevant plutôt de la psychiatrie. Quoi qu’il en soit, le vampire ne renvoie plus spécifiquement à ces notions de Bien et de Mal, qui sont pourtant fondamentales dans le mythe d’origine. Mais s’il n’est plus qu’un humain légèrement différent (au goût prononcé pour le sang et aux aptitudes physiques hors norme), s’il ne représente plus l’interdit, s’il n’est plus là pour transgresser les tabous, que devient-il ? Un simple prétexte de fiction et de romance, qui permet d’aborder de façon imagée la question de l’autre, du différent ?

C’est clairement ce que sont devenus les vampires de Twilight, les Cullen n’ayant plus rien à voir avec le mythe traditionnel des vampires, et s’éloignant encore fortement de l’évolution récente de ce mythe. Comme je le disais en interview, ce sont même des sortes d’anti-vampires puisqu’ils représentent tout, sauf la tentation – mis à part leur beauté surnaturelle qui fait craquer Bella. Mais ils ressemblent plus à des top-modèles qu’à des avatars envoûtants de Lucifer. De même, la conception des vampires dans des séries telles que Vampire Diaries, Anita Blake ou La communauté du Sud (True Blood à la télévision) pose question : même s’ils restent des individus tentateurs et volontiers violents, ce dernier point est de plus en plus effacé (notamment dans Vampire Diaries, bien que ça n’aille pas jusqu’au point de Twilight où les Cullen sont résolument pacifiques) et, surtout, ils veulent à tout prix s’insérer dans la société humaine. On peut se demander pourquoi. Après tout, ce sont des vampires, ils sont censés n’avoir rien à faire de nos conventions, mépriser la société humaine. Ils ne sont pas humains eux-mêmes, alors pourquoi chercheraient-ils à le (re)devenir et à vivre au milieu des hommes ? L’argument invoqué est alors d’ordre économique, du fait de l’obligation qu’ont les vampires de trouver de l’argent pour assurer leur train de vie.

Le vampire n’étant alors plus un mort-vivant contaminé par un démon, il peut désormais devenir tout et n’importe quoi, résultat d’expérience génétique (simple humain à l’agressivité et aux capacités surdéveloppées et obligé de boire du sang, mais encore possesseur de son âme et capable de sentiments et de remords), création des anges pour les servir (chez Nalini Singh), voire anges déchus en quête de rédemption (dans Les vampires de Manhattan), etc. Mais il perd son caractère révolutionnaire et subversif, il n’est plus celui qui soulève les interdits, et même s’il représente encore souvent une tentation à laquelle on peut difficilement résister, cette tentation n’est pas forcément mauvaise. Bien souvent, les héroïnes sont attirées par les vampires comme elles pourraient être attirées par n’importe quel homme sortant un peu de leur ordinaire. Le Bien et le Mal se mélangent, les frontières sont floues, il devient parfois difficile de différencier l’attitude des vampires de celle des chasseurs de vampires et de les justifier. Tous finissent par se ressembler, évoluant dans des nuances de gris.

Cela est très représentatif de notre société moderne, et bien entendu, on n’a plus le côté manichéen des récits d’avant. Pourtant, on a besoin de sens, en tant que lecteur et en tant qu’être humain. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Lestat, dans les livres d’Anne Rice, cherche à comprendre la nature des vampires et le secret de leurs origines, car il a besoin de réponses, lui aussi. Il cherche un sens à sa vie d’immortel, à son éternité, et s’il n’est pas en quête de Dieu (en qui il ne croit pas), la question de l’existence de Dieu est omniprésente dans les livres, question qui demeure sans réponse jusqu’à la fin, même après que Lestat a visité le Paradis et l’Enfer.

 

Au milieu de toute cette littérature, Buffy constitue une exception, et, alors que la façon – trop romantique et trop humaine – dont la nature des vampires est aujourd’hui traitée finit par lasser dans la plupart des fictions récentes, la prise de position de Joss Whedon, lorsqu’il a repris le mythe pour créer sa série, est remarquable. À l’origine, même s’il s’agit effectivement d’une série télévisée, Buffy a tellement influencé la littérature vampirique qu’on est bien obligé d’en parler. D’ailleurs, de nombreux romans Buffy ont été écrits, directement dérivés de la série (bientôt réédités chez Milady) et aujourd’hui, ce sont des comic-books qui en racontent la suite.

Dans Buffy, l’aspect démoniaque et sans âme du vampire n’est pas masqué, rejeté, refoulé, comme il l’est si souvent dans la littérature moderne. Au contraire, il a été conservé et mis en évidence. Ainsi, même si les vampires restent en grande partie à l’image de ce qu’ils étaient au cours de leur vie (Angel est une sorte de looser, avant d’enfin se prendre en main à Los Angeles, dans le spin-off éponyme de Buffy), ils restent néanmoins fondamentalement différents des hommes, et l’héroïne elle-même le répète sans cesse : les vampires sont mauvais, dangereux ; on ne peut pas leur faire confiance et on ne peut les considérer comme des êtres humains, mais comme des démons. Si certains d’entre eux ont un comportement différent, il y a toujours une bonne raison : pour Angel, c’est parce qu’on lui a rendu son âme contre son gré, suite à une malédiction jetée par les gitans, et il souffre ensuite mille morts dues au remords. Par la suite, Spike devient également un vampire différent, d’abord parce qu’une puce dans le cerveau l’empêche de mordre des êtres humains, puis parce qu’il va, lui aussi, retrouver son âme. Mais leur différence de comportement est clairement expliquée et ne jette aucun doute sur la nature maléfique du vampire, à la base.

La nouveauté de Buffy, à l’époque, c’était aussi qu’elle promouvait une autre vision de la femme, en renversant les stéréotypes des films d’horreur d’alors. L’héroïne ressemble volontairement à la jolie blonde qui se fait occire de façon brutale en début de film, mais en réalité, c’est elle qui « botte les fesses » des vampires et des divers monstres. Les personnages les plus puissants de la série sont des femmes, telles que les Tueuses, Buffy, Faith, ou encore Willow la sorcière. Les hommes, quant à eux, sont souvent plus ordinaires (Alex) ou indécis (Angel avant de reprendre en main son destin, Spike qui court après Buffy mais n’a pas de vrai but dans l’existence pendant longtemps…). L’image de la blondinette qui se fait bêtement tuer est même cassée encore plus fortement dans le tout premier épisode, quand la petite lycéenne blonde, dans son joli petit costume de lycéenne, parfait prototype de la screaming girl qu’on assassine à la troisième minute du film, se révèle en fait être un vampire (Darla) qui massacre allègrement le jeune homme avec lequel elle se trouve. On pensait que le danger venait de l’extérieur, mais c’était elle, le danger, en réalité.

C’est en cela que Buffy est l’annonciatrice de toute la littérature d’aujourd’hui appelée « bit-lit », terme français créé en clin d’œil à la chick-lit et désignant un courant particulier d’urban fantasy, parce qu’elle a donné à la femme une place différente. Dès lors, ce ne sont plus les créatures fantastiques qui sont au cœur de l’histoire, mais ce ne sont plus des héros non plus, ce sont des femmes. Et toute la bit-lit raconte des histoires de jeunes femmes indépendantes qui se trouvent confrontées à des phénomènes paranormaux et des monstres issus de fantastique, tels que les vampires. Ceux-ci ne sont plus le sujet principal de l’intrigue ; ils ne sont même bien souvent qu’un prétexte à raconter des histoires de femmes, pour des femmes. Dès lors, on comprend le relatif ras-le-bol d’une partie du public par rapport au vampire aujourd’hui, même s’il reste toujours un thème littéraire de premier ordre. Peut-être que cette façon de lui enlever ses crocs est à l’origine de ce rejet partiel, plus que le fait d’avoir subi un raz-de-marée d’histoires vampiriques.

 

Les histoires vampiriques, quand elles sont bonnes, sont aussi agréables à lire que le reste, mais j’ai envie de dire : « par pitié, rendons ses crocs au vampire ! » Et tant qu’on y est, rendons aussi les zombies au monde des morts et les loups-garous à la bestialité ! Nom d’un chien, ce sont tous des monstres, et c’est ça qui nous fait frissonner, qui nous fait peur et nous attire. Cela nous renvoie à nos propres monstres intérieurs, à nos peurs inavouées d’être nous-mêmes des monstres… ou de pouvoir en devenir. Mais « castrer » les monstres en en faisant trop souvent de simples sujets de romance est assez restrictif. Redevenons sérieux une minute : un zombie qui tombe amoureux et dont on peut tomber amoureuse, vous avez déjà vu ça, vous ? Un zombie, c’est un mort, non ? Un mort-mort. Bon, il bouge, mais au ralenti. Et il est en décomposition. Vous trouvez ça glam’, vous ? Alors, ok, il semble que soit née une nouvelle race de zombies. Pas morts-morts, qui bougent normalement, qui pensent et qui ne se décomposent pas. Mais ce ne sont plus des zombies, alors. Si ? Soyons francs : non.

Il en va de même pour les vampires. Un vampire qui ne craint pas le jour, qui n’éprouve pas l’attrait du sang (ou si peu), qui se pose tout un tas de questions philosophiques sur le Bien et le Mal et recherche le Bien, alors qu’il est censé, à la base, être une créature maléfique qui ne suit que ses instincts, ses envies, ses désirs… eh bien, pour moi, ce n’est pas un vampire. Evidemment, si on en reste seulement à la vision classico-gothique du vampire, cela limite les possibilités de fiction, j’en conviens, en ce sens qu’on peut rapidement verser dans les récits horrifiques et que cela ne permet pas toutes les histoires qu’on écrit aujourd’hui.

Voilà pourquoi il est important de trouver des ressorts narratifs permettant de créer des vampires un peu différents, des vampires avec une âme, des vampires bridés, des vampires obligés de combattre aux côtés des humains, des vampires tombant amoureux, etc. La seule chose importante, c’est que cela ait un sens, que leur comportement ait une justification qui tienne la route. Un vampire ne devient pas gentil parce qu’il l’a décidé. Ce n’est pas dans sa nature d’être gentil. Il faut une raison valable. Et pour écrire une histoire vampirique qui tienne debout, il faut garder présente à l’esprit la véritable nature du vampire de base : il n’est pas forcément immoral, mais il est amoral.

De là cette réflexion que je partageais récemment avec d’autres auteurs : à mon sens, la créativité ne consiste pas nécessairement à imaginer de nouvelles mythologies, parfois tirées par les cheveux, mais aussi à réinvestir les mythes anciens pour leur donner une vigueur nouvelle, un souffle nouveau, à condition de le faire correctement, sans se lancer dans des dérives qui, au lieu de venir enrichir le mythe, l’appauvrissent. Evidemment, en créant un monde entièrement nouveau, sans se baser sur quoi que ce soit de ce qui a été fait avant, le problème ne se pose pas. Mais peut-on vraiment écrire en ne s’inspirant d’absolument rien de ce qui nous précède ? Notre imaginaire est forcément nourri de ce qui s’est fait auparavant et que nous avons lu. Même le nouveau roman, qui consistait à faire table rase du passé, lequel était rejeté en bloc, s’appuyait néanmoins sur lui, par simple opposition. Ainsi, qu’on la rejette ou qu’on l’intègre à sa propre œuvre, on ne peut nier qu’il y a une tradition littéraire avant nous. A nous de trouver notre place et notre façon personnelle de nous exprimer.

Réinvestir la légende en la modernisant, mais sans lui faire perdre son sens, est un défi délicat. Et pour y réussir, il faut avant toute chose que le mythe parle d’abord à l’auteur lui-même, et lui parle tellement qu’il aura quelque chose à dire dessus. Il arrive que, parfois, le mythe soit revisité de telle façon qu’on ne peut que s’incliner devant la créativité de l’auteur. Je pense ainsi à la refonte totale du mythe qu’a effectuée Melissa de la Cruz dans Les vampires de Manhattan et qui est absolument magistrale. De même, tout récemment, j’ai grandement apprécié le roman Le premier sang de Sire Cédric. Il est dans la veine des précédents, policier fantastique, mais dans celui-ci, l’auteur revisite également le mythe du vampire de façon très originale, preuve que cela est encore possible pour ceux qui ont le talent.

C’est que, si on veut bien le laisser s’exprimer vraiment, le vampire a encore beaucoup à nous dire. Non pas nécessairement en tant que simple créature fantastique qui permet d’écrire des romances bit-lit, mais parce que, si on le considère toujours comme cet autre qui transcende les interdits et qui nous entraîne à sa suite, il est une métaphore de ce qui se cache au fond de nous, de notre propre propension à nous, humains, à faire le Mal et à nous laisser contaminer par lui. Dès lors, le vampire interroge sur nous, ce que nous sommes, sur la condition humaine, l’essence de la vie, sur le Bien et le Mal en nous et dans le monde. Il permet d’explorer le côté obscur de l’être humain et d’aborder beaucoup de questions existentielles. Encore faut-il lui laisser ses crocs, au sens propre et au sens figuré.

 

Comment Buffy a changé ma vie

Article paru dans le magazine en ligne l'Imaginarius, en juin 2012.

Comment Buffy a changé ma vie

Par Sklaerenn Baron

 


J’avoue : je suis aujourd’hui une fan inconditionnelle de cette fameuse série qu’est Buffy contre les vampires, de même que d’Angel (spin-off réussi de Buffy) et du Whedonworld en général. Pourtant, je dois bien avouer que cela n’a pas toujours été le cas et que la première saison de Buffy, par exemple, m’avait laissée dubitative. Au bas mot. En fait, lorsque j’ai découvert Buffy pour la première fois, je trouvais vraiment que ça faisait trop ado, même si c’était plutôt rigolo. Il faut dire que je n’étais plus une ado moi-même, depuis quelques années. Et là, je ne parle pas du film, que j’ai vu seulement après la série et qui n’était pas vraiment transcendant, mais bel et bien de la série.

Néanmoins, avec l’arrivée des personnages de Spike et Drusilla, dès la saison 2, j’ai commencé à accrocher, et finalement, j’ai trouvé la série géniale et très inventive, souvent drôle, parfois émouvante. Mon personnage préféré est resté Spike, du début à la fin, mais j’avoue avoir de la tendresse (beaucoup) pour nombre d’autres personnages, notamment Alex, Tara, Oz… Cependant, je dois bien avouer que c’est le personnage de Spike, extrêmement romantique pour un vampire sans âme et vraiment très drôle, et l’interprétation de James Marsters, dont je trouvais le jeu d’acteur formidable, qui m’ont définitivement convaincue de suivre les aventures de Buffy jusqu’au bout.

 

Mais au-delà de l’aspect divertissement et évasion que cette série a eu pour moi comme pour de nombreux autres fans, il me faut dire, en y réfléchissant, que Buffy a bel et bien changé ma vie, du fait de tout un enchaînement de prises de conscience et de rencontres qu’elle a provoquées pour moi. Au final, la découverte de la série, en tant que spectatrice, a été le début d’une véritable aventure personnelle qui m’a entraînée bien plus loin que ce que j’aurais imaginé, et bien loin de ce point de départ également.

Je vais passer sur l’aspect « j’ai regardé la série en VO tellement j’étais fan et ça a drôlement amélioré mon anglais d’un seul coup » (bien que ce soit vrai). Je vais aussi passer sur l’aspect « moralement éducatif » dont plein d’autres ont déjà parlé (cf., par exemple, le livre « Que ferait Buffy ? La Tueuse de vampires comme guide spirituel » de Jana Riess). Pour beaucoup, Buffy semble en effet avoir changé la façon de penser, car même si l’héroïne n’est pas parfaite et possède des côtés sombres (comme pratiquement tous les personnages de la série), elle peut très bien être un modèle pour beaucoup, notamment par le dévouement et la solidarité dont elle fait preuve. Cela n’a pas été mon cas, car comme je le disais plus haut, j’avais déjà un certain âge et je m’étais déjà moralement et psychologiquement construite.

 

Non, pour moi, c’est artistiquement que la série Buffy a été une véritable révolution. Avant tout, c’était à mes yeux une série culte dont j’attendais chaque nouvelle saison avec impatience et dont j’ai regretté l’arrêt, même si le final, à mes yeux, a été exceptionnel. J’en appréciais autant les clins d’œil à la culture populaire, la bande originale (qui m’a permis de découvrir nombre de nouveaux groupes musicaux que j’écoute encore toujours lorsque j’écris, aujourd’hui) que l’humour ou les histoires elles-mêmes. De plus, étant donné mon « grand âge », j’avais déjà acquis assez de culture générale pour apprécier la richesse de ces histoires et les différents niveaux de « lecture ». La série n’a pas été culte que pour moi, d’ailleurs, car il faut voir l’engouement qu’elle a provoqué autour des vampires. Toute la littérature actuelle, mais aussi les films et les séries, bref tout l’imaginaire tournant autour de ce sujet a également été révolutionné par Buffy. C’est à partir de ce moment-là que les vampires sont vraiment revenus sur le devant de la scène, comme sujets de fiction, et toutes les œuvres qui ont suivi se sont très souvent plus ou moins inspirées de cet univers. Buffy a renouvelé le genre.

De ce point de vue, je dois dire que j’ai été beaucoup moins marquée par le fait que des jeunes femmes tout à fait ordinaires, en apparence, étaient capables de se battre (chose qui a toujours été une évidence pour moi) que par la présentation des vampires dans cette série. Buffy a changé ma propre vision des vampires. Ou plutôt, cela a conforté la vision que j’en avais intuitivement mais que je ne savais trop comment exprimer et que je ne retrouvais nulle part ailleurs. Buffy a éclairci cette vision.

J’ai toujours aimé le mythe du vampire, et quand j’ai découvert Buffy, j’avais déjà lu Bram Stocker et Anne Rice, et bien entendu, j’avais vu le film de Coppola, que j’avais adoré à tous points de vue, et celui d’Entretien avec un Vampire. Je me retrouvais plus dans le premier que dans le second, d’ailleurs, même si j’étais fan de Brad Pitt et de Tom Cruise, parce que dans le premier, Dracula n’a pas d’âme… et donc pas d’états d’âme, et ce, même s’il est amoureux ! Il reste un damné, qui s’est révolté contre Dieu, et un prédateur qui se nourrit des vivants, que ce soit de leur sang ou de leurs émotions. Un être pervers qui prend plaisir à pervertir les innocent(e)s. A l’inverse, les vampires d’Anne Rice, bien que fictionnellement très intéressants, me paraissaient un peu trop éloignés, selon moi, de ce que devait être un vampire, comme s’ils étaient toujours dotés de leur âme, justement. Je parle ici au-delà du simple plaisir de lire ou regarder une œuvre divertissante de qualité, bien entendu, car de ce point de vue, je n’ai absolument pas boudé mon bonheur de lectrice ou de spectatrice.

Mais c’est bien cet aspect sans âme et démoniaque du vampire que j’ai retrouvé dans la série. L’héroïne le répète sans arrêt : les vampires sont mauvais, ils sont dangereux, ils n’ont pas d’âme et ne peuvent donc être considérés comme des êtres humains mais comme des démons. Cette vision des vampires correspondait tout à fait à l’idée que j’en avais, et j’aimais également tous les messages secondaires que les scénaristes et le créateur, Joss Whedon, faisaient passer à travers eux, puisqu’au final, tout ceci n’était qu’une parabole sur nos luttes intérieures, les choix auxquels nous sommes confrontés, etc.

 

Dès lors, Buffy m’a donné envie d’écrire sur les vampires. Cependant, je ne me suis pas lancée tout de suite, je ne m’en sentais pas capable. J’écrivais déjà, j’ai toujours écrit, mais pas du tout dans ce domaine, vraiment nouveau pour moi. Il m’a fallu le déclic, et il est venu beaucoup plus tard. Curieusement, Stephenie Meyer (dont j’ai apprécié les histoires, malgré tout ; je suis plutôt bon public, il faut dire !) et sa vision totalement erronée du vampire (à mes yeux ; avis qui n’engage que moi) a été une forme de déclic, et je me suis dit que si elle arrivait à écrire des histoires que les lecteurs appréciaient, pourquoi pas moi ? Mais elle n’a pas été le seul déclencheur. Il y en a eu d’autres, et de plus importants.

A l’arrêt de la série Buffy, j’ai ressenti un véritable manque, pour dire à quel point j’étais devenue fan, et j’ai eu envie de prolonger l’aventure. J’ai acheté et lu tous les romans issus de la série (même ceux non traduits en français). Puis j’ai acheté les comics qui racontaient la suite de la série. J’ai fait de même avec les comics racontant la suite d’Angel. Cela m’a permis de découvrir de nouveaux artistes et écrivains dont je me suis mise à apprécier les talents de conteurs, que ce soit graphiquement ou littérairement.

Mais ça ne suffisait pas. Buffy m’avait rendue « accro » aux vampires et je n’arrivais plus à avoir ma dose. A partir de là, j’ai donc lu tout ce qui me tombait sous la main sur le sujet, mais j’avoue avoir été souvent déçue par la vision par trop romantique et trop humaine des vampires dans la plupart de ces fictions, même si, pour le reste, c’était souvent de qualité.

 

Finalement, un beau jour, j’ai compris qu’il fallait que je me lance pour de bon et que je crée ma propre histoire. J’ai rédigé un premier jet, en quelques semaines. Et j’ai eu envie d’un conseil, d’un avis extérieur, de préférence de la part de quelqu’un qui avait l’expérience de ce genre de choses. J’ai ressenti le besoin d’être guidée, car je n’étais pas sûre que ma petite création tenait la route. C’était trop nouveau pour moi.

C’est alors que je me suis tournée vers les artistes que j’avais découverts grâce à Buffy et que j’avais appréciés. La magie de l’internet m’a permis de pouvoir en contacter quelques-uns, et parmi eux, il y eut Jeff Mariotte. Jeff est un auteur américain très riche, tant sur le plan personnel que professionnel. Il a écrit plus de quarante-cinq romans, a travaillé comme libraire et rédacteur dans des maisons d’édition. Pour ma part, je l’ai d’abord remarqué parce qu’il a écrit les livres de Buffy et d’Angel que j’ai préférés, parfois seul, parfois en collaboration avec d’autres auteurs. Je lui ai donc envoyé un message, ainsi qu’à d’autres auteurs, sans savoir encore le genre de personne qu’il était. Mais j’étais déjà bien consciente que, si jamais il me répondait, il était un de ceux dont l’avis compterait le plus.

Or Jeff m’a répondu, et très vite, en plus. Il s’est montré accessible et disponible. Il a lu ce que je lui avais envoyé, il m’a donné son opinion, qui a été déterminante pour moi, et des pistes de travail ; il m’a conseillée et m’a aidée à créer au mieux mon propre univers. Il a vraiment été d’une grande gentillesse et m’a soutenue dès le début dans ce projet de livre. Je lui dois beaucoup. Jugez un peu : presque deux ans plus tard après le premier message que j’ai envoyé à Jeff, à l’heure où j’écris ces lignes, le livre est au bord de sortir en librairie et Jeff lui-même a accepté d’en écrire la préface !

Cette préface a représenté un cadeau extraordinaire pour moi. Et quand je considère le chemin parcouru et que je vois le résultat, je me dis que c’est comme si la boucle se bouclait : une nouvelle œuvre est née ; elle est ce qu’elle est, loin d’être parfaite, mais c’est la mienne et elle résulte de ce cheminement personnel et artistique que Buffy a déclenché en moi. La préface de Jeff en est comme un signe. Il est probable que sans Buffy, et surtout sans Jeff, mon propre livre n’ait jamais vu le jour. Et en cela, Buffy a vraiment changé ma vie. Merci, Joss Whedon ! Et merci Jeff, of course.

Les Contes d'Outre-Monde

« Contes d'Outre-Monde » est un recueil de nouvelles à paraître, regroupant une sélection de quelques textes parmi des nouvelles déjà parues dans deux recueils que j'avais auto-publiés. Ces récits ont été retravaillés, et de nouvelles histoires sont venues les rejoindre. Extraits.


Extrait de la nouvelle « Les Fossoyeurs » :

– Ça alors, fit le collègue de R. d'un ton enthousiaste. Tu vas assister à un miracle, mon gars, et ça arrive rarement, crois-moi.
R. le regarda avec des yeux grands comme des soucoupes. Ecœuré.
– Un miracle ? répéta-t-il. T’es vraiment malade, toi, faut te faire soigner. C’est dégueu, oui ! Et puis, ça serait pas illégal aussi, par hasard ? ajouta-t-il avec mordant. Ça ne s’appellerait pas une profanation de sépulture ?
– Laisse faire, je te dis…
Exaspéré, R. décida de laisser tomber.
– Vous êtes tous complètement tarés dans ce cimetière ! Je me casse, je vais changer de boulot.

Extraits de la nouvelle « La Mouche » :

Vivien avala prestement son omelette à la banane, encore toute chaude. C’était délicatement sucré et il la sentait fondre avec délice dans la bouche. Les dernières miettes disparurent avec une célérité remarquable et le jeune homme repoussa son assiette vide. Repu, il se leva sans bruit, glissa plus qu’il ne marcha vers le salon et s’assit alors devant son antique machine à écrire, considérant pendant un bon quart d’heure les touches de cet étrange instrument...
« Machine à écrire » : c’était ainsi qu’il avait appelé le curieux ensemble mécanique posé devant lui.
Il en ignorait le nom véritable, mais en tout cas, la chose datait de 1998 : c’était écrit dessus. Depuis qu’il était tout petit, Vivien avait vu la machine dans la maison, sans que personne n’en comprenne la destination originelle. D’aucun savait encore moins la faire fonctionner, et bien sûr, il n’avait jamais eu le droit d’y toucher. C’était une relique issue des temps antiques, témoignage d’un passé lointain, précieusement gardé en secret et pieusement respecté. Mais on aurait dit que la machine l’attendait, lui, Vivien. A la mort de ses parents, il en avait naturellement hérité et l’avait conservée à son tour : on ne se sépare pas ainsi d’un objet de famille, inventé par un arrière-arrière-arrière... grand-père.
C’était un fou, disaient les parents de Vivien, pour avoir construit une machine qui ne servait à rien...
Un visionnaire, rectifiait le jeune homme aujourd’hui. Un vrai génie. Car l’instrument avait l’incroyable faculté de concrétiser toutes ses pensées au fur et à mesure qu’elles naissaient dans son esprit : il n’avait qu’à penser, et immédiatement la machine se mettait en branle et écrivait tout ce qui lui passait par la tête. Il n’était même pas obligé de se relier à elle par un cordon électronique ou des électrodes, comme cela se fait pour toute machine directement commandée par le cerveau... Oui, un véritable génie visionnaire ! Des siècles auparavant, cet inventeur inlassable que devait être ce grand-père avait réalisé une machine que même les ingénieurs modernes n’auraient pu concevoir ! Il les dépassait tous, et de loin... Heureusement : ainsi, quelques années plus tôt, les censeurs étaient venus chez Vivien sans prévenir, comme ils le faisaient régulièrement. Il n’avait pas eu le temps de cacher son précieux instrument, mais il n’avait pourtant pas été inquiété : ces idiots n’avaient pas réalisé quel moyen de « subversion » cela représentait, ils n’avaient vu là qu’une pièce de musée inutile. Vivien avait senti le parfum de la victoire l’envahir en réalisant que le tatillon chef d’escadre ne trouvait rien à redire : les lettres n’apparaissaient même pas sur les touches...
Le génial ancêtre dépassait également son descendant, car si Vivien avait su d’instinct se servir de cette vénérable pièce de collection, il n’en avait pas compris le fonctionnement plus que les autres. Il ignorait totalement par quelle subtile alchimie son cerveau parvenait à commander la machine. Mais au fond, il s’en moquait : le mystère était pour lui source de poésie. Et la poésie était devenue si rare en ce bas monde qu’il ne voulait pas gâcher le peu qu’il avait réussi à préserver.
 (...)
Il avait parlé un jour de ses douleurs nocturnes à son médecin de district, et ce dernier lui avait affirmé sur un ton péremptoire qu’il avait un ulcère. Un ulcère visiblement dû au stress, avait ajouté le médecin d’un air soupçonneux. Pour éviter à l’avenir ce genre de brûlures la nuit, il lui fallait aller en camp de déconditionnement, pour apprendre à ne plus être stressé. Le diagnostic était sans appel. Vivien avait donc acquiescé et rempli le formulaire de demande. Une chance, le médecin ne lui avait pas réclamé le document pour l’envoyer lui-même à la Centrale Administrative. Il était débordé ce jour-là et avait chargé son malade de le faire lui-même. Mais Vivien ne l’avait jamais envoyé… Pour que cela ne se sache pas, il avait quitté son appartement peu de temps après, en claironnant partout qu’il allait suivre une cure d’anti-stress dans les camps de l’État. Il était revenu trois semaines plus tard et avait alors imité tous ceux qui en revenaient effectivement : il avait affirmé que sa cure s’était bien passée, que les camps étaient des endroits merveilleux, que tout le monde aurait dû y aller régulièrement. Et bien entendu, il n’avait plus jamais parlé de ses problèmes à son médecin.
(...)
Depuis toujours, sa passion à lui, c’était les insectes. Son amour allait surtout aux mouches. Alors que ses proches trouvaient ces bestioles répugnantes et dégoûtantes, lui, il aimait leurs ailes bleutées, leurs bons gros yeux ocellés dans lesquels il croyait voir passer des expressions, leur corps velu et leurs pattes à crochets, brosses et ventouses qui leur permettaient de s’accrocher partout, de marcher dans n’importe quelle dimension de l’espace. Des petites mécaniques bien huilées, où rien n’était laissé au hasard. De vraies merveilles…


Extrait de la nouvelle « Le Joïpurh » :

Patrick considéra la pièce monacale qui constituait son logement à la caserne. De l’autre côté du mur, les soldats dormaient dans un dortoir commun, chacun sur leur paillasse. Plusieurs ronflaient. Ce bruit irritait le Lieutenant, incapable de se rendormir. Il passa une main agacée dans ses cheveux bruns pour les ébouriffer, comme si cela pouvait lui remettre les idées en place. Il soupira, avant d’enchaîner plusieurs inspirations et expirations, lentes et profondes. Le calme revint en lui. Cela ne durerait pas, mais c’était mieux que rien. La meilleure chose à faire, c’était de se lever et d’aller courir. Il n’y avait que de cette façon qu’il pourrait évacuer la tension accumulée dans son organisme. Enfin, il y en avait d’autres, mais c’était la seule possible, dans les circonstances actuelles.
Sans plus attendre, Patrick s’habilla et sortit silencieusement de sa chambre, pour se faufiler dans le couloir, en direction de l’escalier. En dépit de sa masse corporelle plutôt impressionnante, il ne faisait pas un seul bruit en marchant. Il descendit ensuite d’un étage, atteignit la porte d’entrée et sortit du bâtiment. La cour de la caserne était déserte, en dehors des sentinelles qui veillaient à leur poste. Le Lieutenant n’eut aucune hésitation et franchit le mur d’enceinte presque sans effort. Son corps semblait diffuser de l’adrénaline en surdose. Dire que le lendemain, il allait être promu au grade de Capitaine ! Il allait avoir bonne mine, après une nuit blanche.
Après deux heures de course à travers la campagne, le corps de Patrick sembla enfin fatiguer un peu et reprendre un rythme plus normal. Il était temps ! Tout ça à cause d’un stupide héritage génétique ! L’homme n’en connaissait guère sur son histoire familiale, mais il savait que son père était comme lui. Malheureusement, il était mort alors que Patrick, fils unique, était encore très jeune et il n’avait pas pu l’aider à affronter les modifications mensuelles de son organisme. En un sens, cela avait évité à d’autres enfants de connaître le même sort que le Lieutenant.  
Celui-ci revint vers la caserne et se pencha sur la fontaine, à l’extérieur, pour se désaltérer un peu. À la faveur de la pleine lune, il aperçut son reflet dans l’eau, ses cheveux hirsutes, sa moustache bien dessinée. Il avait tout juste trente-trois ans, un physique plutôt avantageux, grand et musclé, un visage carré, une cicatrice sur le menton, des yeux incandescents. Un côté mauvais garçon, mais policé, assagi. Il cachait sa gentillesse naturelle sous des airs bourrus. Les femmes l’appréciaient et lorsqu’il défilait en uniforme, avec les soldats de l’empire, il sentait leurs regards peser sur lui. Mais de son côté, il avait décidé de faire une croix sur elles. Hors de question de léguer son héritage à un enfant ! C’était bien trop pénible. Certes, il pouvait espérer que sa maladie ne se transmettrait pas, mais il n’était pas du genre à compter sur la chance. Il préférait prévoir.


Extraits de la nouvelle « Le théâtre se rebelle » :

C’est une ville noire et grise, ravagée par la guerre, les bombardements. Partout des murs éventrés, des maisons abandonnées, des fenêtres cachées derrière des planches, des portes obturées. Mais c’est « leur » ville, et ils ne la quitteront pas, ces hommes et ces femmes qui marchent au milieu des immeubles en ruine. Où pourrait-ils aller d’ailleurs ? Au-delà, il n’y a que le désert d’une campagne devenue stérile.
Une petite bruine tombe, fine et froide, tandis qu’un groupe d’hommes et de femmes déambule dans les rues. Ils ont un drôle d’air avec leurs costumes colorés, mais défraîchis ; il y a des pantalons trop longs, des pulls trop courts, des vestes mitées, des jupes d’un autre âge, des bas qui filent. On dirait une troupe de perruches. Ils sont la seule tâche de couleur dans ce morne paysage monochrome. Comme s’ils étaient les seuls êtres vivants à des lieues et des lieues à la ronde…
 (...)
La plupart d’entre eux sont en pleine discussion, un débat animé et ponctué de gestes et d’exclamations. Tous discutent en fait. Tous, sauf un grand type blond qui se tient légèrement à l’écart, silencieux et attentif en même temps. Il écoute ses compagnons parler de leurs costumes avec deux autres hommes ; deux hommes tout gris, qui se confondent avec la couleur des murs ambiants. Deux types petits et bruns, moches, qui font un contraste étonnant avec les gens habillés de couleurs.
(...)
– T’es sûr que ça ira ? demande finalement l’un des membres de la troupe au grand blond.
Sven ne répond pas tout de suite, comme s’il hésitait encore à donner vraiment son avis. Non pas parce qu’il n’en a pas, mais parce qu’il ne veut pas vexer ses compagnons, leur ôter leurs dernières illusions. Il est comme ça, Sven. Il cherche toujours à les ménager…
– Moi, j’en suis pas persuadée… dit alors à sa place une des femmes de la troupe en contemplant d’un air navré sa jambe où s’étire une maille large comme son poignet.
C’est Mya. Elle a le poignet fin, mais quand même, ça fait une grosse échelle !
Otto intervient, c’est l’un des deux petits bruns ; le dominant :
– Bien sûr que si ! Faites-moi confiance…
– Non, regardez-nous ! reprend Mya avec vivacité. C’est des haillons. On a l’air de clochards…
– Vous ne trouverez rien de mieux dans cette ville. Il vous suffira de quelques points d’aiguille. Vous en êtes capables, tout de même ! Et puis, vous voulez le monter, votre spectacle, oui ou non ?
Les membres de la troupe se regardent, soupirent, haussent les épaules… Il a raison, ce sale type. D’instinct, ils ne l’aiment pas, mais ils ne peuvent pas lui donner complètement tort rien qu’à cause de ça…

Extraits de la nouvelle « Le carnet de Mr Séraphin » :

Alexis, douze ans, considéra d’un œil noir la maison que sa mère venait de louer. Elle était située en bordure de ville, presque en campagne déjà. La propriétaire avait dit qu’elle longeait une ancienne voie ferrée, mais le jeune garçon ne voyait rien qui ressemblait à ça, simplement un petit chemin derrière la bâtisse.
De toute façon, il était furieux d’être là et faisait la tête à sa mère depuis qu’il avait appris sa décision. Il ne comprenait pas pourquoi elle avait voulu déménager et s’installer dans ce trou. Comment ça s’appelait déjà ? Ah oui, Locminé. Tu parles d’un nom !
Angers était autrement mieux. Plus grande, plus belle, plus vivante. Une vraie ville, quoi ! Et puis, il avait tous ses copains là-bas. Ici, il ne connaissait personne et il allait s’embêter pendant tout l’été… D’autant plus qu’il était fils unique et n’avait même pas de frère ou de sœur pour partager son désarroi.
– Mais ne t’inquiète pas, avait dit Dominique. Tu te feras de nouveaux amis, tu verras…
Il n’en croyait rien. Guillaume, surtout, allait lui manquer. Avec lui, il faisait les quatre cents coups depuis l’âge de huit ans.
D’accord, ses parents avaient divorcé et toute leur vie avait changé. Mais pourquoi venir là ? Son père, lui, était resté à Angers…
– J’ai trouvé un nouveau travail, avait rétorqué Dominique. Plus intéressant. Et puis, ça nous fera du bien de changer de cadre.
Ça lui ferait du bien à elle, pensa amèrement Alex, mais pas à lui.
(...)
Alex s’ennuyait ferme et jeta sur sa chambre un regard morne. L’unique avantage du déménagement, constata-t-il avec une certaine amertume, c’était qu’il y avait gagné une chambre plus grande. Et un petit jardin, pour jouer au foot. Avec un pommier, dans un coin.
Pour le reste, il avait déjà inspecté le quartier. Pas un enfant de son âge n’habitait là. Il n’avait vu que des retraités, un café plein d’ivrognes et une vieille dame tout édentée qui ressemblait à une sorcière. Ça allait vraiment être gai, ces deux mois de vacances !
La seule chose intéressante était le petit chemin creux qui passait derrière la maison et filait vers les bois de chênes et de châtaigniers. Ce sentier appelait à l’aventure… Alex le trouvait mystérieux, plein d’ombres et de fantômes. Son imagination galopait déjà et il serait volontiers aller y faire un tour, surtout avec ce soleil resplendissant. Mais il devait finir d’aménager et de ranger sa chambre, avait ordonné Dominique.
Avec un soupir, le jeune garçon déballa son dernier carton de jouets et de livres. Même sa console Wii ne lui disait rien. Soudain, il entendit un bruit dans l’escalier. Sa mère arrivait. Il se jeta sur son lit, ouvrit une bande dessinée au hasard.
– J’ai découvert qu’il restait tout un tas d’affaires dans le grenier ! annonça Dominique en ouvrant la porte.
Un grenier ? Il y avait un grenier, ici ? Alex adorait les greniers ; on y trouvait toujours des tonnes de trucs bizarres et tout poussiéreux. Malgré tout, il ne daigna pas lever les yeux de sa BD ni même émettre un vague grognement en guise d’approbation.
– J’ai téléphoné à la propriétaire pour l’avertir. Elle m’a dit que c’était les affaires d’un très ancien locataire et que personne n’y avait touché depuis des années. Et quand je lui demandé ce qu’il fallait en faire, elle a répondu qu’on pouvait tout jeter.
– Oh non ! Fais pas ça !
Alex se retint à temps de le dire à voix haute. À peine s’il eut un tressaillement. Pas question de paraître intéressé, Dominique serait trop contente.
– Je ne sais pas encore quoi en faire, ajouta celle-ci en désespoir de cause. Je te les laisse. Tu pourras y jeter un coup d’œil, si tu veux.
Alex ne répondait toujours pas et Dominique finit par sortir de la chambre en poussant un soupir découragé.

 
Extrait de la nouvelle « La voix de la Sagesse » :

Quand Georges se réveilla au matin, la migraine lui battait les tempes de façon brutale. Il lui semblait que les veines de son cerveau étaient prêtes à éclater au moindre geste un peu trop brutal qu’il effectuerait. Encore toute une soirée passée à picoler… et le moral toujours aussi bas. Rien ne changeait. C’était comme ça à chaque fois que sa mère l’appelait et que la discussion virait en dispute ; et elle finissait toujours en dispute ! C’était inévitable, obligé : « l’autre » était insupportable avec ses remontrances à longueur de temps et sa voix suraiguë le transperçait à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche. Insoutenable…
La tête en feu, Georges soupira et chercha à tâtons le flingue qu’il avait posé à côté du lit en se couchant. Arme réglementaire. Rien de bien original. Sa main rencontra le métal froid, et lentement, il glissa le revolver dans son étui.
Puis la main fourragea dans sa tignasse brune en bataille… enfin, ce qu’il en restait. À trente-cinq ans, il était déjà à moitié chauve, ce qui n’était pas sans lui filer de monstrueux complexes. Y repenser en se réveillant d’une biture carabinée l’irrita un peu plus.
En grognant, il repoussa d’un geste maladroit le drap gris qui le couvrait, et heurta une pile de revues qui trônait à côté du lit, avec les reliefs des repas depuis trois jours, dans la vaisselle éparpillée sur la moquette.
– Merde…
Voir l’appartement glauque et dans cet état de crasse lui fut brusquement insupportable. Il leva les yeux vers le plafond, pour oublier le reste de la pièce. Il s’aperçut alors qu’une araignée y avait élu domicile. Le ménage n’était vraiment pas son fort, mais on ne pouvait pas demander ça à un célibataire endurci comme lui…
Hésitant sur la conduite à tenir, Georges passa en position assise et se frotta le visage entre les mains. L’odeur du bourbon lui revint aux narines, et ouvrant les yeux, il envoya voler à cinq mètres la bouteille vide avec laquelle il avait dormi.
Finalement, il se leva et alla dans la salle de bain. Le miroir lui renvoya une image bouffie et fripée de lui-même. Il s’aperçut alors qu’il avait malencontreusement gardé son costume pour dormir. Erreur… grave ! En grommelant, il tenta de le déplisser, mais ce fut peine perdue. Bah ! Son image de petit flic minable n’en souffrirait pas plus que de ses frasques habituelles.
À l’inverse de ses camarades de promotion, il n’avait toujours pas grimpé dans la hiérarchie, et il sentait qu’il en serait toujours ainsi. Quelle importance ? Peut-être que sa voie était ailleurs, finalement. Mais c’était trop tard pour changer, maintenant.
Et Georges se décida à sortir de cet appartement délabré qui lui pesait sur le système.
 
 

Extrait de la nouvelle « Le Maître du suspense » :

L’écrivain penché sur sa feuille hésitait encore à achever sa nouvelle. Elle ne lui plaisait qu’à moitié. Une nouvelle noire, sinistre, glauque, suintante d’angoisse, d’horreur et de sueur. Un véritable suspense, quelque chose de terrifiant, avec un crime épouvantable. C’était un domaine où il excellait : il savait parfaitement rendre le cheminement logique et implacable d’un esprit déséquilibré jusqu’à l’acte irréparable, mais aussi le dernier frisson de la victime et le raisonnement tortueux du flic qui se lançait sur la piste du tueur, s’identifiant parfois au bourreau, chasseur pas très net…
Et pourtant, cette fois, quelque chose ne collait pas, et l’auteur le sentait bien : la fin qu’il avait prévue ne provoquait pas l’élément de surprise qu’il désirait, même si, pourtant, elle était imprévisible. Mais elle allait simplement tomber comme un cheveu sur la soupe, sans amener d’intérêt réel à l’histoire… Il lui fallait donc recommencer. Tout repenser depuis le début. Repenser le suspense.
Avec un soupir, l’écrivain se prit la tête dans les mains. Repenser. Repenser son suspense… Suspension du temps, la vie suspendue à un fil, le flic à un assassin introuvable et pourtant incontournable. Un jour, un lecteur suspendu à ses mots, peut-être… Mais pour le moment, se dit-il avec rage, il n’y avait que lui, l’auteur, cloué dans son fauteuil, suspendu à une écriture haletante depuis bientôt quinze jours, tout ça pour une histoire banale et morbide de quelques pages seulement. Comment était-il possible de sécher maintenant, de tomber en panne d’inspiration ? Non, le pire était que ce n’était même pas vraiment une panne d’inspiration, mais un tout autre problème qu’il n’osait s’avouer et qui, pourtant, l’empêchait aujourd’hui d’avancer. Cela aurait été risible si ça n’avait pas été si… angoissant.


Extrait de la nouvelle « L'Arbre du Pendu » :

Ce matin-là, comme tous les matins, le Grignou faisait sa promenade dans les bois quand il tomba soudain en arrêt devant un arbre superbe, un arbre qu’il n’avait encore jamais vu, parce qu’il n’était jamais allé si loin dans la forêt. Et cet arbre-là était immense : son tronc tortueux, à l’écorce rugueuse et presque écaillée par endroits, devait faire au moins une dizaine de mètres de circonférence, peut-être même une douzaine. Oui, une douzaine, le Grignou avait l’œil pour ça. Quant à sa hauteur… Il devait bien mesurer vingt mètres de haut, vingt-cinq, voire trente… Un magnifique spécimen.
C’est un chêne, ma foi ! Une belle bête, se dit le Grignou. À mon avis, il doit bien avoir six ou sept cents ans… Peut-être même mille.
C’était une échelle de temps qui le dépassait. Il se demanda ce que ce chêne avait pu voir, ce qu’il avait vécu, durant de si longues années. Finalement, il s’approcha et caressa l’écorce de ses mains calleuses, admiratif devant cette colossale force de la nature, qui avait su résister en dépit du temps et des tempêtes, et qui se tenait là, debout devant lui, dans toute sa majesté. Il en fit le tour, lentement, cherchant à voir le sommet des frondaisons. Mais d’où il se trouvait, au pied, l’arbre ne semblait pas finir mais s’élever toujours plus haut vers le ciel. Alors le Grignou monta dedans. Ce fut facile, grâce au gros rocher, poli par les ans, auprès duquel l’arbre avait poussé.
C’est alors qu’il découvrit un nouveau monde. Lui qui n’avait jamais quitté le sol ferme se trouva soudain catapulté dans un univers bruissant, changeant, toujours en mouvement. Il n’y avait que le tronc à rester stable : tout le reste bougeait. Un peu effrayé au départ par ces sensations qui le déroutaient complètement, le Grignou resta collé au tronc, comme à un protecteur. Il lui sembla sentir alors la force du chêne, cette sève qui roulait dans ses flancs et disait toute la violence et la douceur de son pays natal. Heureux et détendu, le Grignou s’enhardit, s’assit à califourchon sur une grosse branche, bien élevée au-dessus du sol, et s’appuyant le dos contre le tronc, il regarda la forêt.


Source : steampunktendencies.tumblr.com
Extrait de la nouvelle « Contrepartie » :
Le couple avançait en se tenant la main, heureux d’être ensemble et conscients de vivre une soirée exceptionnelle. Ils étaient jeunes, et très amoureux, et pourtant, ces derniers temps, c’était très difficile entre eux. Ils se disputaient souvent, peut-être à cause de la situation de militaire de Marc, ainsi que l’attestait ses cheveux châtain coupés très court. C’était un jeune homme de la campagne. Ancien joueur de hockey, il avait conservé son allure sportive. Il était grand, musclé, les épaules carrées, la silhouette en V. La mâchoire volontaire était adoucie par ses yeux verts au regard doux, son visage un peu rond semblant garder des traces d’enfance. Étonnant, étant donné ce qu’il avait vécu au cours de ses dernières missions.
 Amy, quant à elle, venait également de la campagne, mais elle s’était adaptée à la ville avec une facilité déconcertante. Plutôt petite, frêle, brune, discrète, ultra-féminine. Pour autant, elle avait su garder son authenticité, le goût des plaisirs simples. Marc la protégeait constamment, comme s’il avait peur qu’elle se brise. Il faisait cela de façon délicate et réservée, mais un œil averti le voyait tout de suite. Amy, elle, appréciait ses attentions et ses petits soins, mais elle ne se rendait pas compte d’à quel point il veillait sur elle. Il le faisait d’autant plus que, ces derniers temps, elle avait des problèmes de santé. Personne ne savait encore ce qu’elle avait, mais Marc sentait confusément qu’elle dépérissait, tandis qu’elle refusait d’ouvrir les yeux sur la réalité. C’était peut-être cela aussi qui provoquait leurs nombreuses disputes.
Décidé à chasser toutes ces pensées négatives et à savourer pleinement le moment présent, Marc reporta son attention sur un camelot qui semblait proposer aux passants des verres d’un breuvage inconnu. L’homme était brun, les cheveux courts et en bataille, avec une barbe de trois jours. Des yeux perçants, noirs comme la nuit. Marc lui trouva l’air un peu… agité. Et pourtant, le camelot ne s’agitait pas franchement. Il avait plutôt l’air concentré. Mais ses yeux vifs semblaient remarquer le moindre détail, et c’était comme si son cerveau bouillonnait et envoyait des ondes à tout le monde. Ce n’était pas le genre de Marc de penser à de telles choses, et pourtant, ce fut exactement ce qu’il se dit.
– Voulez-vous voyager dans le temps, jeunes gens ? leur proposa alors le camelot.
Étrangement, son ton n’avait rien d’affable, il semblait très sérieux. Marc l’observa plus attentivement : l’homme portait un étrange costume de cuir brun, bardé de poches et de fermetures éclair dorés en tous sens, ainsi qu’un chapeau haut-de-forme noire et un manteau sombre aussi, inspiré des redingotes d’antan, mais en plus long. Une magnifique montre à gousset pendait autour de son cou, au bout d’une chaîne.
Il se donne un genre ! songea Marc.

 

Dialogue auteure-personnage de fiction


Post sur Facebook

Quand on est une auteure légèrement schizophrène (c'est pour ça que je dis « on ») et qu’un de vos personnages vous prend la tête, ça peut donner ceci (retour en mai 2013, avant ma participation d'alors aux Imaginales) :

 
Moi, Ryan Blake, vampire (Strategy of Darkness) : Mon auteur sera bientôt à cet événement incontournable que sont Les Imaginales ! Si vous êtes dans le coin, n'hésitez pas à lui rendre une petite visite. Conseil d'ami. ;) Vraiment. V''''V

Sklaerenn Baron (en commentaire du post) : Ryan ! Non, mais ça va pas la tête ou quoi ?
Ryan Blake (en réponse au commentaire) : Ben quoi ?
Sklaerenn Baron : « Ben quoi » ?! Comment ça, « Ben quoi » ? Regarde ce que tu as écrit, bon sang ! T’es malade ! Tu le sais, ça ?
Ryan Blake : Désolé, chérie, je ne peux pas être malade, je suis...
Sklaerenn Baron : Un vampire, ouais, je sais. Ben, ça n’empêche pas d’être « insane », si tu vois ce que veux dire. Enlève-moi ce post.
Ryan Blake : Ah non ! Je te fais de la pub. Tu ne veux pas que les gens aillent te voir ?
Sklaerenn Baron : Si, bien sûr, mais on ne leur parle pas de cette façon, aux gens.
Ryan Blake : Ah bon ? Et pourquoi donc ?
Sklaerenn Baron : Réfléchis un peu, voyons ! Je pensais quand même qu’en presque cinq cents ans, tu avais fait quelques progrès dans le relationnel.
Ryan Blake : Je te ferais remarquer que j’ai passé la majeure partie de ces cinq cents années comme... Vampire, eh oui ! Hello ! Moi, c’est Blake, et les relations humaines, je m’en bats l’œil. Et puis, je ne suis pas un grand intellectuel, darling. Moi, c’est plutôt...
Sklaerenn Baron : STOP !!!! Epargne-nous les détails.
Ryan Blake : Dommage, ce sont les détails qui sont intéressants, justement.
Ryan Blake : Eh bien, tu ne dis plus rien ?
Ryan Blake : V''''V
Sklaerenn Baron : Rengaine tes canines. Please.
Ryan Blake : Grrrrrrrrrrrrr *va s’allumer une clope pour ne pas tuer quelqu’un*
Sklaerenn Baron : Pfff, si tu crois que tu me fais peur. N'empêche, si tu te fiches des relations humaines, pas moi. Non, mais sans blague, on dirait presque que tu menaces de mordre les gens, là !!
Ryan Blake : Y’a de l’idée.
Sklaerenn Baron : Heuuuuu... Si tu mords une seule personne, Ryan, tu auras affaire à moi... et à mon pieu. J’en ai plein en stock !
Sklaerenn Baron : *je sens que ça peut prêter à confusion, ce que je viens de dire*
Ryan Blake : Ah, ah, ah !!! Même si tu parles du bon pieu (et non de l'autre), venant de toi, cette remarque est désopilante. Tu ne peux pas te passer de moi. Eh, mais, attends...
Sklaerenn Baron : Quoi ?
Ryan Blake : C’est peut-être ça, le problème. T’es jalouse, en fait ! V''''V
Sklaerenn Baron : QUOI ?!!
Ryan Blake : Tu te répètes, poupée.
Sklaerenn Baron : Non, mais eh, oh ! Je ne te permets pas de m’appeler "poupée", d’abord !! Où tu te crois ? Et puis, rassure-moi, tu plaisantes, là ? Ou alors, tu es totalement délirant, mon pauvre. Je ne suis pas jalouse du tout. *n'importe quoi, pfffffff*
Ryan Blake : Oh, vraiment? Alors pourquoi t’offusquer de mon message, dans ce cas ? Tu as peur que je morde quelqu’un d’autre ? Et puis, je t’appelle comme je veux, pou-pée.
Sklaerenn Baron : BLAKE !!!!
Ryan Blake : Tiens, ce n’est plus Ryan ? Damn and blast! Ah, ah, on dirait que j’ai fait mouche !!! V''''V
Sklaerenn Baron : Non, mais tu vas finir, oui ?! De quoi je pourrais être jalouse ?! Je suis ton auteur !!! Mdr ! Au contraire, plus il y a de gens à te connaître, et plus je suis contente. *ces vampires, ils se prennent vraiment pour le centre du monde !!!* Et puis, reste poli, d'abord !
Ryan Blake : Comment ? Après tout ce que je t’ai raconté et ce que tu es en train d’écrire pour tes prochains tomes, tu t’offusques d’un petit juron ? Mais fais-moi rire !
Sklaerenn Baron : Là n’est pas la question. Enlève-moi ce post tout de suite, ou modifie-le, ou...
Ryan Blake : Ou quoi ?
Sklaerenn Baron : Ou tu vas tellement en baver dans le prochain tome que tu demanderas grâce à genoux !
Ryan Blake : Alors, ça, ça m’étonnerait ! Vu que tu es ma biographe et que tu ne fais que raconter des choses véridiques.
Sklaerenn Baron : Très bien. Dans ce cas, je vais me débrouiller pour que tu fasses de trèèèès vilaines rencontres dans la vraie vie. Comme ça, j’aurais des scènes bien sanglantes à raconter, des scènes dans lesquelles tu passeras de vilains quarts d’heure.
Ryan Blake : Oh, hell !! Mais j’aime ce qui est sanglant. Et j’aime ce qui est vilain. V''''V
Sklaerenn Baron : Ok, je renonce... Tu es incorrigible. *dégoûtée*
Ryan Blake : Ne t’en fais pas, si ça se trouve, un jour, je demanderai grâce à genoux. Et j’adorerai ça. Et toi encore plus. Ou peut-être que ce sera toi qui demanderas grâce. Dieu seul le sait.
Sklaerenn Baron : Faut toujours que tu aies le dernier mot, hein ? De préférence avec une allusion graveleuse.
Ryan Blake : C’est comme ça que tu m’aimes.
Sklaerenn Baron : C’est toi qui le dis.
Ryan Blake : Non, c’est toi qui le prouves. Tu ne peux pas décrocher de ma biographie.
Sklaerenn Baron : Si je le faisais, tu serais bien emmerdé.
Ryan Blake : Alors là, tu deviens vulgaire. Je suis choqué.

Extrait 3 de "Le contrebandier" ("Le Lys Pourpre" tome 1)

À l'occasion de la sortie du premier tome du "Lys Pourpre", en mars 2015, j'avais partagé cet extrait sur Facebook, en accord avec mon éditrice. Il était temps que je le partage ici aussi !

Dans ce tome, nous faisons donc connaissance avec Alix de la Chaussée d'Arville, issue d'une vieille famille de la noblesse de Savoie. La voici qui se rend au bal, pour son entrée officielle dans le monde...


Source : ici.
Extrait 3 de "Le contrebandier" ("Le Lys Pourpre" tome 1)
par Sklaerenn Baron (copyright)


— Mademoiselle ? Pourrais-je avoir l’insigne honneur de me voir accorder cette valse ?

Il avait une voix incroyable : une voix grave, chaude et modulée, presque… envoûtante. Une voix qui glissait sur elle comme une caresse.

Surprise, elle ne sut d’abord que répondre, mais quand il la déshabilla du regard avec insolence, la colère la gagna et elle comprit qu’elle devait refuser. Cependant, il avait déjà profité de son trouble pour lui prendre la main. Elle se rendit compte qu’il avait la peau douce et chaude, et aussitôt, elle sentit un frisson la parcourir. Réaction purement physique et totalement insensée !

— Avec plaisir… s’entendit-elle répondre, troublée par ce simple contact qui la rendait toute chose.

À sa grande honte, l’homme perçut ce petit frémissement animal et il le regarda, ravi, se propager sur la peau délicate de la jeune fille. Il devait lui-même s’avouer que l’effleurement de cette petite main dans la sienne le remuait étrangement. Il l’avait saisie de façon franche et ferme, comme pour une poignée de main entre égaux, et il vit que la jeune fille appréciait ce geste, malgré tout.

C’était un loup, comprit soudain Alix, à son costume gris et au grand masque qui dissimulait la totalité de son visage, en dehors de la bouche et du menton. Cela expliquait son invitation. Le plus curieux était qu’en dépit de son costume relativement austère, il était impossible de ne pas éprouver la séduction qui émanait de lui. Des mèches brunes encadraient son visage, et, sous son masque, se dévoilaient seulement de beaux yeux bleus, intenses et chaleureux. En une fraction de seconde, ce regard happa la jeune fille. Elle eut le sentiment qu’elle s’y noyait, tandis qu’un vide enflait brutalement au creux de son ventre.

J’ai déjà vu ce regard, songea-t-elle brièvement. Peut-être le frère d’une des filles du pensionnat.

Alors, toute volonté annihilée, elle se laissa entraîner. Sur la piste, l’homme l’attira contre lui, et elle se raidit imperceptiblement, cherchant à recouvrer son sang-froid.

— Allons, murmura l’inconnu, détendez-vous ! Je ne vais pas vous manger.

— Et comment le saurais-je ? ironisa-t-elle dans un sourire. Vous êtes le loup.

— C’est vrai, rétorqua-t-il avec amusement. J’ai hésité entre le costume du loup et celui du chat botté, mais j’ai finalement opté pour le loup, parce que je trouvais cela beaucoup plus amusant. Et je dois dire que j’ai énormément de chance de rencontrer un aussi joli Chaperon Rouge.

Alix, surprise d’un tel discours, se demanda ce qui se cachait derrière cette arrogance et cette impertinence. Y avait-il un être généreux derrière le monstre, comme dans les contes de fées ? Ou n’était-il qu’un séducteur superficiel et effronté ?

"Le contrebandier" ("Le Lys Pourpre" 1) : chapitre 1

Extrait 2 de "Le contrebandier" ("Le Lys Pourpre" tome 1)
par Sklaerenn Baron (copyright)



Création de Chocolat Design.
Chapitre 1 : l'embuscade
 
Au couvent des Sœurs de Sainte-Cécile, dans la bonne ville de Grenoble, un joyeux pépiement de voix juvéniles remplaçait le recueillement habituel. Les pensionnaires du couvent, jeunes nobles envoyées là pour achever leur éducation, allaient passer quelques jours en famille avant de revenir entre les murs austères de l’internat pour le Carême. Et chacune se promettait de faire ample provision de gaieté avant d’aborder cette traditionnelle, mais bien peu appréciée, période de pénitence.

Toutefois, certaines quittaient définitivement le couvent, telle cette jeune fille rieuse qui ne cessait de bavarder en préparant ses bagages. En ce début de printemps 1789, Alix de la Chaussée d’Arville, quinze ans passés, était grande et fine ; son visage au teint clair dans lequel deux yeux verts à l’expression malicieuse retenait toute l’attention, était rehaussé d’une cascade de boucles dorées, selon la mode d’alors. Sa voix et ses manières trahissaient une santé et une joie de vivre éclatantes, mais aussi une activité débordante où transparaissait par instants un caractère volontiers autoritaire et parfois même moqueur.

Tout entière à son bonheur d’échapper enfin à l’ambiance sévère du pensionnat et de retrouver le grand air de ses montagnes, elle aborda Béatrice, une de ses compagnes, et esquissa avec elle un pas de danse en fredonnant un air grivois :

— Jeanneton prend sa faucille, la rirette, la rirette ! Jeanneton prend sa faucille, pour aller couper les joncs ! Pour aller couper les joncs !

— Alix, voyons ! gloussa sa comparse.

Béatrice était pourtant habituée aux frasques de son amie. Celle-ci, très éprise de liberté, était restée rebelle sous ses apparences policées, et les règles strictes des religieuses n’avaient pas réussi à la dompter.

— Allons, Béatrice, chante avec moi ! Nous quittons enfin cette prison, cela ne mérite-t-il pas une petite chanson ? D’autant que nous allons faire notre entrée dans le monde à l’automne, pour nos seize ans ! Toi à Paris, et moi à Grenoble, d’abord, puis je ne sais où. À nous six mois d’essayage de robes et d’apprentissage de ces secrets terriblement féminins, comme la pose des mouches et toutes ces choses frivoles que n’oseraient jamais nous enseigner les nonnes !

— En ce qui me concerne, je ne dis pas, mais toi, tu détestes ça.

— Je suis prête à faire quantité d’efforts inimaginables pour retrouver la Chaussée d’Arville et courir à nouveau dans les bois !

Béatrice leva les yeux au ciel.

— Oui, et te bagarrer comme le garçon manqué que tu es !

Alix fit une petite moue comique. C’était là une chose qu’elle ne pouvait nier. Elle était née à la place de l’héritier mâle espéré par son père et était restée fille unique à cause de la fragilité de sa mère. Son père, le marquis de la Chaussée d’Arville, issu d’une vieille lignée de la noblesse d’épée, l’avait alors élevée comme un fils, répartissant son temps entre l’équitation et les passes d’armes en sa compagnie, les parties de chasse et l’initiation à la nature avec son intendant, Bradroc, ainsi que les leçons d’histoire, de latin, de mathématiques et de sciences de M. Jolivet, le précepteur qu’il avait engagé.

Plutôt intrépide, Alix s’était épanouie grâce à cette éducation hors normes. Désormais, il en fallait beaucoup pour l’affoler et elle se plaignait rarement de ce qui pouvait lui arriver. Ce n’était pas une de ces jolies courtisanes de la Cour, prêtes à s’effondrer, victimes des « vapeurs ». Jamais les sels n’avaient été utilisés sur elle, ce qui lui conférait un sentiment secret de fierté. Elle ne faisait pas de malaise pour un rien, elle ! Elle ne craignait pas les longues randonnées à cheval ni les parties de chasse en pleine montagne, bien au contraire.

La marquise réprouvait un peu cette manière de faire, mais voyant le bonheur de son mari et de sa fille – et incapable de s’y opposer –, elle n’avait rien dit. Cependant, au douzième anniversaire d’Alix, sa mère avait exigé qu’on lui procurât enfin l’éducation convenable qu’une personne de son rang devait recevoir. Le marquis s’était incliné, reconnaissant qu’Alix devenait trop grande pour se comporter comme un garçon.

Originaire de Savoie, duché appartenant au royaume de Piémont-Sardaigne et non au royaume de France, l’enfant avait néanmoins été envoyée à Grenoble, où elle avait passé presque trois ans au couvent des Sœurs de la Rédemption. Il faut dire que la Savoie vivait en complète osmose avec la France sur le plan culturel et il était donc naturel pour la noblesse de cette région de se tourner vers le grand pays voisin pour assurer l’éducation de ses fils et filles.

Lorsque Alix rentrait chez elle pour les congés, les leçons maternelles prenaient le relais, toujours complétées par celles de M. Jolivet. Littérature, danse, broderie, musique et autres savoirs féminins n’eurent bientôt plus de secrets pour elle. Tout cela sans compter les enseignements de sa nourrice, Faustine, qui l’avait initiée aux secrets des femmes soignantes, étant elle-même guérisseuse.

— Exactement ! répliqua Alix d’un ton énergique. Peut-être même irai-je me promener nue sous la lune pour fêter cela !

Et tandis que son amie ouvrait de grands yeux offusqués, la jeune fille éclata de rire avant de reprendre avec entrain :

— En chemin, elle rencontre, la rirette, la rirette ! En chemin, elle rencontre quatre jeunes et beaux garçons ! Quatre jeunes et beaux garçons !

Catastrophe ! Ce fut le moment que choisit une religieuse pour pénétrer dans le dortoir. La chanson lui parvint aux oreilles et la laissa scandalisée :

— Mademoiselle de la Chaussée d’Arville ! Mademoiselle de Bray ! Comment pouvez-vous vous comporter de la sorte ? Voulez-vous donc être convoquées dans le bureau de la Mère supérieure pour votre dernier jour ? Pensez-vous que ce soit là une attitude digne de jeunes filles de votre rang ?

Les deux demoiselles rougirent, étouffèrent un petit rire amusé et reprirent leur travail. La religieuse, qui était encore jeune, ne put s’empêcher de sourire à son tour et, faisant preuve d’indulgence, leur tourna le dos pour poursuivre son inspection des chambrées.

— Que vas-tu faire, maintenant ? demanda Alix à son amie.

— Je vais retrouver mes parents à Paris. Dieu sait si j’aurais préféré rester dans la région, par exemple ! Et aller rendre visite à mon oncle et ma tante.

— Oui, pouffa Alix. Surtout à ton grand cousin ! Comment s’appelle-t-il, déjà ?

— Je ne te l’ai jamais dit et je ne te le dirai pas. Tu serais capable de ne pas te contrôler et de parler des sentiments que j’éprouve pour lui dans une conversation par simple étourderie.. Ou même devant lui, si par hasard tu venais à le rencontrer, ce qui serait pire encore.

— Béatrice ! protesta son amie en riant. Est-ce vraiment mon genre ?

— Tout à fait ton genre !

Alix fit la moue, puis dut reconnaître qu’elle n’était guère douée pour garder un secret. Non que ça l’intéressât de cancaner, mais elle avait tendance à être trop spontanée et trop franche. Elle disait ce qu’elle pensait, si bien qu’elle commettait parfois des maladresses irréparables.

— Tu sais, je ne fréquente guère les jeunes gens de la région, allégua-t-elle néanmoins. Je ne risque pas de le croiser.

— Oui, d’habitude, tu es bien plus occupée à battre la campagne avec ton vieux Bradroc ou ton amie Marianne. Mais cela va changer. Bientôt, tu seras présentée à tous les partis à marier, tout comme moi, d’ailleurs.

— Ne faudrait-il pas que je sache alors qui est ton cousin, afin d’être bien froide avec lui s’il devait succomber à mon charme et le rediriger vers toi ? insista Alix, taquine.

— Certainement pas ! Je ne veux pas qu’il puisse se douter de quoi que ce soit !

— Ma foi, si tu es aussi troublée devant lui que tu l’es lorsque tu parles de lui, il doit certainement déjà savoir à quoi s’en tenir.

Agacée, Béatrice jeta son oreiller sur la malicieuse Alix qui l’esquiva en riant.

 

Peu de temps après, un carrosse, tiré par deux chevaux et guidé d’une main sûre, s’arrêtait devant la grille du couvent. Alix fit le tour de ses compagnes pour un au revoir rapide. En dehors de Béatrice, qu’elle espérait retrouver bientôt puisqu’elle l’avait invitée à passer quelques semaines chez elle, durant l’été, elle n’était guère attristée de quitter les autres. Pour finir, l’espiègle jouvencelle salua sa maîtresse de pensionnat de sa plus belle révérence ; celle-ci ne la libéra pas avant les derniers conseils d’usage :

— Vous m’avez donné du mal, Alix de la Chaussée d’Arville, mais vous êtes de noble sang et d’excellente constitution. Je ne doute pas que vous serez une femme accomplie.

Enfin, Alix se précipita vers la voiture, saluant le conducteur d’un geste de la main. C’était Paul, un des palefreniers du château familial qui avait eu cet honneur. À l’intérieur, dès que ses yeux furent accoutumés à la pénombre, Alix reconnut Faustine qui l’attendait. Près d’elle se tenait Marianne, sa petite dernière. D’un an et demi la cadette d’Alix, aussi blonde que son amie était brune, la jeune fille avait passé toute son enfance en sa compagnie et l’avait suivie partout pendant des années. L’aristocrate les embrassa avec affection.

— M. Jolivet n’est pas du voyage ? s’enquit-elle, à propos de son précepteur.

— Non, répondit Faustine avec un petit sourire. Le pauvre a fait une malencontreuse chute et s’est foulé la cheville. Votre père a préféré le voir demeurer au château et c’est donc moi qui suis venue vous chercher.

Alix ne put s’empêcher de rire. Il était de notoriété publique que le sieur Jolivet détestait les voyages, surtout dans ces carrosses inconfortables. Au contraire, la nourrice de la descendante d’Arville avait certainement vu là une opportunité de retrouver plus tôt sa protégée et ne s’en plaignait pas.

Deux autres serviteurs à cheval, Bradroc, qu’Alix affectionnait particulièrement, et Benoît, le majordome, escortaient le véhicule ; les routes de France n’étaient pas très sûres, infestées de brigands d’autant plus audacieux que les temps étaient difficiles. À vrai dire, celles de Savoie ne valaient guère mieux. Mais plus les voyageurs étaient nombreux, moins ils risquaient de se faire attaquer. S’ils portaient des épées, leur situation était encore moins hasardeuse, et voilà pourquoi les trois hommes du convoi avaient revêtu des tenues de gentilshommes et exhibaient leur rapière au côté, même si tous n’étaient pas capables de la manier, loin de là.

En réalité, seul Bradroc en connaissait le maniement. En effet, le marquis de la Chaussée d’Arville, homme simple et gai, lui avait très tôt donné quelques leçons d’escrime, pour occuper les solitaires soirées d’hiver au château. Bradroc s’était montré bon élève et des duels courtois avaient souvent eu lieu dans la grande salle. Le marquis avait d’ailleurs coutume de plaisanter à ce sujet, en disant :

— Ce Bradroc est une plus fine lame que son maître. Ceci va à l’encontre des lois de la bienséance, mais qu’y faire ? Je ne puis me résoudre à le jeter dans un cul-de-basse-fosse pour venger mon honneur !

Plus tard, Bradroc avait essayé de transmettre cette science aux autres valets, sans grands résultats, sauf auprès d’un certain Olivier, lequel avait été nommé garde-chasse sur la propriété de la Chaussée. Alix, elle, était une redoutable épéiste, et dans sa prime jeunesse, elle avait même participé avec succès à quelques-uns des duels organisés par son père. Cependant, bien qu’elle se fût habillée comme un garçon pendant des années, il n’aurait plus été convenable qu’elle se déguisât en homme et portât une arme aujourd’hui. À son grand regret.

On partit aussitôt et Alix, dans sa hâte de revoir ses parents et la demeure familiale, demanda au cocher de diligenter les chevaux. Il était tôt et elle pouvait encore espérer coucher le soir même au château. Bientôt, le carrosse avait quitté la ville et roulait en pleine campagne, cahotant et brinquebalant. Alix, à l’intérieur du véhicule, pressait Faustine et Marianne de questions. Elle voulait tout savoir de ce qui s’était passé en son absence, tant en Savoie qu’ailleurs.

Elle apprit qu’au royaume de Piémont-Sardaigne, les mauvaises récoltes des années 1780 avaient appauvri les campagnes sans qu’elles aient encore pu s’en relever, et l’on voyait à Chambéry, par exemple, une prolifération de loges maçonniques qui réclamaient des changements à cor et à cri. Néanmoins, à Arville et aux alentours, le marquis veillait au bien-être de ses paysans et ne les pressurait pas d’impôts, ce qui n’était pas le cas partout. Il était également tolérant, ce qui lui valait en retour le respect et la bienveillance de ses administrés. S’il avait un garde-chasse, il laissait souvent faire les braconniers, lesquels ne débusquaient généralement le gibier que pour se nourrir. Et même si la chasse était en théorie un privilège de la noblesse, le marquis fermait les yeux.

La situation n’était guère différente en France, voire pire : le peuple avait faim et il était bien plus violent que dans le Piémont, comme poussé à bout. Ainsi, à Grenoble, presque un an auparavant déjà, la foule en colère avait brisé les vitres de la maison municipale, puis, très vite, avait enfoncé la porte et s’était précipitée comme une vague puissante à l’intérieur, sous les applaudissements de tous les spectateurs. Aussitôt, volets, chaises, tables, sofas, livres et papiers avaient plu par toutes les fenêtres du palais. Y avait succédé une averse de tuiles, que les insurgés avaient jetées sur les soldats. L’affaire avait fait grand bruit, on devinait que quelque chose couvait. Et à dire vrai, le règne du roi Louis le Seizième ne prenait pas une tournure des plus paisibles.

La grande peur d’Alix, cependant, ne résidait pas dans la situation économique et politique de sa région ou du pays voisin, mais bien plutôt dans celle de Marianne : elle savait que son amie d’enfance, à presque quatorze ans, était désormais en âge de travailler, et elle avait craint, en partant après Noël au pensionnat, de ne point la retrouver à son retour. Elle apprit alors avec soulagement que Marianne avait été embauchée au château comme chambrière.

— Quelle bonne idée ! s’exclama Alix. Il est vrai qu’Antoinette avait du mal à s’en sortir seule ! Le château est tellement grand et il y a tant à faire ! J’espère quand même que nous pourrons encore nous promener, toi et moi, comme par le passé ! Nous sommes sœurs de lait, il serait injuste de nous séparer !

— C’est bien ce qu’a pensé Madame la marquise, répliqua Faustine avec un sourire. Et elle se doutait que la nouvelle vous ferait plaisir, Mademoiselle la comtesse.

Faustine avait toujours considéré que la fille du marquis portait réellement le titre de comtesse. En réalité, n’étant pas de sexe masculin, Alix n’y avait pas droit, mais par courtoisie, tout le monde la désignait ainsi.

— Faustine, lorsque nous sommes entre nous, ne pourrais-tu me tutoyer comme tu le faisais autrefois ? Tu es toujours ma nourrice, tu sais.

Faustine était bien plus que cela, à vrai dire. Deux jours avant la naissance d’Alix, cette brave femme avait perdu un bébé, un garçon qui, s’il avait vécu, n’aurait eu qu’un mois de plus qu’Alix. Lorsque celle-ci vint au monde, sa mère, de faible constitution, ne pouvait la nourrir et on la confia donc à celle qui deviendrait sa nourrice. Encore endeuillée, Faustine s’était attachée au nouveau-né de toutes ses forces, comme une seconde mère. Non seulement elle l’avait nourrie, mais elle l’avait aussi souvent gardée lorsque la marquise était malade ; elle l’avait élevée en grande partie et lui avait appris nombre de choses précieuses à savoir. Sans compter qu’elle lui avait donné la fessée plus souvent qu’à son tour, laquelle était généralement méritée, devait reconnaître Alix avec honnêteté.

La brave femme rougit et hocha la tête.

 

Les chevaux trottaient sur la route pierreuse avec allégresse. L’équipage avait parcouru plus de sept lieues et avait dépassé Crolles, au nord-est de Grenoble. La propriété de la Chaussée d’Arville se situait en effet dans les montagnes, à environ cinq lieues de Chambéry. Les voyageuses, jusqu’ici toutes au plaisir de leurs retrouvailles et de la conversation, commençaient à montrer des signes de fatigue lorsque l’écho d’un galop retint leur attention. L’équipage traversait une forêt et il restait encore quelque distance pour atteindre le village de La Terrasse où ils espéraient faire halte et se restaurer avant de reprendre leur chemin.

Alix se pencha à la fenêtre et vit approcher un cavalier, galopant vers eux à toute allure. Il était jeune et avait fière allure, pour le peu qu’elle pût en juger. Brun, très grand, les épaules carrées, habillé en gentilhomme. À cette distance, elle ne pouvait rien distinguer de plus, sauf qu’il se tenait fort bien en selle, faisant corps avec sa monture, accompagnant du bassin les mouvements de son cheval, un magnifique étalon de couleur gris foncé, ce qui dénotait un cavalier émérite. En connaisseuse chevronnée, elle ne pouvait qu’apprécier son maintien.

— Oh, le bel homme ! s’exclama-t-elle spontanément, tandis que Marianne approuvait d’un hochement de tête admiratif et que Faustine, tenue par son rôle de chaperon, se scandalisait d’une attitude aussi déplacée.

Alors que leurs routes allaient se croiser, un cri strident s’éleva et soudain, une demi-douzaine de malandrins surgit des buissons, à quelques toises de la voiture, obstruant le passage dans les deux sens. Retraite coupée, le véhicule dut stopper immédiatement. Tout de suite, l’aspect des assaillants interpella Alix : ils étaient vêtus proprement et avaient l’épée à la main, preuve qu’ils savaient manier la lame. Fallait-il en déduire qu’ils n’étaient pas des bandits de grands chemins, mais plutôt des tueurs missionnés ?

Quoi qu’il en fût, ils se précipitèrent aussitôt sur le cavalier, dédaignant le coche, ses occupantes et son escorte. Sans doute en voulaient-ils plus à la vie du jeune homme qu’à sa bourse, car ils ne prononcèrent pas un mot et l’attaquèrent sans préambule. Mais il dégagea sa rapière en un clin d’œil et riposta aussitôt, apparemment à peine surpris par cette attaque inattendue. Cherchant à éviter l’encerclement, il se rapprocha du carrosse que des duellistes acharnés entourèrent bientôt.

Devant le danger, Bradroc mit à son tour la main à l’épée pour défendre les passagères et prêter assistance au jeune cavalier. Benoît, en revanche, s’écarta immédiatement, tandis que Paul restait sur son siège, tétanisé par la terreur. Faustine et Marianne ouvraient de grands yeux affolés sur le combat qui se déroulait devant elles. Alix, quant à elle, trépignait sur place, suivant tous les mouvements des adversaires.

— Bradroc, prends garde ! s’écria-t-elle soudain.

Elle ne pouvait s’empêcher de frissonner d’angoisse autant que d’excitation. Les leçons d’escrime de son enfance et les souvenirs des bagarres avec les gamins du village remontaient à la surface, diffusant l’adrénaline dans ses veines. Une part d’elle était presqu’aussi terrifiée que sa nourrice, mais l’autre regrettait d’être une fille obligée de porter une robe et de ne pouvoir participer au combat.

Encourageant ses compagnons de la voix, elle dégaina la petite dague italienne que lui avait offerte son père à son septième anniversaire, prête à défendre la portière du carrosse et ses occupantes s’il le fallait. La bataille prenait une tournure diabolique : les spadassins s’acharnaient, juraient, sautaient, se fendaient. Les épées se croisaient, cliquetaient avec une rapidité infernale et leur pointe effleurait parfois le véhicule. Brusquement, Faustine et sa fille poussèrent un cri strident, tandis qu’Alix se rattrapait de justesse au montant de la portière : un des chevaux de l’attelage avait été blessé dans l’escarmouche et s’était écroulé, entraînant avec lui le carrosse qui basculait. Par chance, il vint s’appuyer contre un tronc d’arbre, ce qui l’empêcha de verser complètement dans le fossé.

Fort heureusement, les attaquants étaient de médiocres bretteurs et le jeune cavalier parvenait à esquiver les coups sans trop de peine. Mais l’un des brigands blessa son cheval, lequel s’écroula soudain sous lui. L’inconnu sauta à terre avec agilité et, protégé d’un côté par l’attelage du carrosse, de l’autre par sa monture, il poursuivit l’assaut. L’animal, affolé, lançait de terribles ruades et lui faisait de son corps un rempart que les bandits hésitaient à franchir.

Néanmoins, le jeune homme se fatiguait, sa résistance fléchissait. Alix devait faire quelque chose. Lorsque les assaillants en auraient fini avec leur victime, nul doute qu’ils se tourneraient vers eux pour supprimer les témoins de leur crime. Hélas, leur véhicule était immobilisé. Ils étaient coincés, sans espoir de se dégager rapidement.

Alix se tourna vers Paul, toujours tétanisé sur son siège, lui désignant de la main l’animal blessé qui gisait sur le chemin. Dans un regain de courage, il se redressa pour détacher la bête et l’éloigner, mais s’écarta aussitôt des bretteurs, épouvanté. Benoît, lui, du haut de sa monture, faisait de son mieux pour écarter les coupe-jarrets du carrosse.

Alix l’interpella :

— Benoît, donne-moi vite tes pistolets et va les aider ! cria-t-elle en désignant Bradroc et l’inconnu.

— C’est que je ne suis pas habile avec une épée ! protesta-t-il.

— Mais tu as ton bâton ! Fais vite !

Benoît hésita une seconde avant de se rendre aux arguments de la jeune fille à qui il tendit ses armes. Puis, sortant son immense gourdin noueux de sa ceinture, il s’élança sur sa monture, prit les bandits à revers et en assomma deux proprement en un mouvement circulaire, débarrassant Bradroc de ses agresseurs. On aurait dit un paysan fauchant les blés en été.

Se penchant par la portière, Alix fit feu, touchant un des assaillants qui recula aussitôt sous le couvert des bois. Un autre tomba à terre sans qu’elle sût s’il était mort ou juste blessé – elle espérait de tout cœur que cette deuxième hypothèse était la bonne. Bradroc, libre de ses mouvements, se fendit en avant et désarma un troisième brigand qui prit la fuite à son tour.

Cependant, le dernier assassin n’entendait pas se rendre si aisément. Contournant le cheval estropié du jeune cavalier, il parvint à frapper sa cible avant que Bradroc se jetât sur lui. Il l’évita et se saisit d’une trompe. Tout en se défendant, il en joua alors autant qu’il put, jusqu’à ce que l’intendant le transperçât d’une passe d’arme habile. Marianne poussa un cri et Alix retint un sursaut. C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un se faire tuer au cours d’un duel et elle en était secouée.

Elle n’eut cependant pas le temps de s’appesantir sur son ressenti, car c’est à cet instant que le jeune homme s’effondra, à la limite de l’inconscience, les yeux clos. Le combat était terminé. Bradroc descendit de cheval et releva aussitôt l’inconnu, le soutenant contre lui. Tandis que les blessures des autres hommes n’avaient guère touché Alix, elle fut effrayée de l’état du jeune cavalier quand elle constata sa pâleur. Elle ne voulait pas qu’il mourût, comme celui qu’elle venait de voir trépasser.

— Vous autres, êtes-vous saufs ? s’enquit-elle néanmoins, en s’adressant à l’ensemble des serviteurs.

— Oui, mademoiselle, la rassura-t-on aussitôt. Tout va bien.

— Parfait. Dans ce cas… Faustine, viens vite m’aider à l’examiner ! s’écria-t-elle alors en sautant d’un bond hors du carrosse.

Avec l’aide de sa nourrice, elle ausculta rapidement l’étranger. Sa cuisse présentait une plaie assez profonde, mais aucune artère ne paraissait touchée, car il n’y avait pas de grosse hémorragie. Une chance. En revanche, l’épaule saignait abondamment.

Alix n’eut pas le temps de s’apitoyer. On avait entendu le coup de trompe du spadassin et d’autres tueurs s’approchaient déjà à travers bois, faisant craquer les branches mortes et s’encourageant de la voix. Un galop de chevaux s’élevait aussi dans le lointain, sur la route. Tout en pressant un grand mouchoir sur l’épaule du gentilhomme pour contenir l’afflux de sang, Alix prit conscience de leur situation.

— Tonnerre ! s’écria Bradroc. Les renforts de ces pendards arrivent ! Avec l’attelage à refaire… Nous sommes pris comme des rats dans une souricière !

Visiblement, il lui en coûtait de l’admettre, mais, au-delà de son orgueil blessé, Alix entendit nettement l’angoisse dans sa voix. De la part de cet homme solide qu’elle connaissait depuis sa naissance, il n’y avait rien de plus effrayant.

— Ah non ! Pas vous, Bradroc ! s’exclama-t-elle en tentant de maîtriser le tremblement de sa voix et les battements affolés de son cœur. Si vous baissez les bras, c’est là que nous sommes perdus !


(À suivre)